Quatrième Groupe La vie dans les années 1960-1980 2ème partie
Marie-Claire Sirami-Lafay

'J’avais 3 ans lorsque les premiers rapatriés sont arrivés à Noyant. Je ne me souviens pas vraiment du grand boum de leur arrivée. Mon enfance s’est déroulée entourée des enfants de Noyant, qu’ils soient de pure souche ou originaires de Pologne ou rapatriés d’Indochine.
Bien sûr, j’entendais les réflexions des adultes qui devaient, eux aussi, s’adapter à ce grand bouleversement de la vie de leur commune.
Ma famille a toujours été très ouverte à cette nouvelle population. Cela n’était pas toujours facile mais j’ai vu beaucoup de tolérance. C’était peut-être un peu moins vrai pour ma grandmère qui, ne se déplaçant pratiquement pas, n’a pas vraiment eu l’occasion de les côtoyer et, du coup, était un peu méfiante à leur égard.
Nous entendions quelquefois des expressions concernant « les gens des corons » telles que les « Viêts », les « Niaquoués », les « Chinois », les « Chinetoques », expressions qui actuellement ont totalement disparu. Je me souviens aussi que lorsqu’il y avait des bagarres dans les bals du samedi soir, sans savoir qui en était à l’origine, on accusait souvent les jeunes des corons et je peux dire que cela n’était pas toujours le cas.
Lorsque j’étais enfant, une dame polonaise venait aider notre maman aux tâches
domestiques. Elle se faisait comprendre tant bien que mal et, un jour, à midi, le repas étant prêt, elle s’est mise en devoir d’appeler notre papa pour manger alors que le chien ne cessait d’aboyer. Et voilà ce qu’elle a crié : « Monsieur, viens manger ! Chien, taisez-vous ! » Nous l’aimions beaucoup cette dame polonaise qui ne manquait jamais de nous souhaiter nos « anniversitaires ».
Je suis donc allée à l’école comme tous les enfants de Noyant. Ils ont toujours été mes
camarades de classe sans distinction et cela a été très naturel pour moi. J’ai le souvenir d’avoir goûté pour la première fois un avocat et une mangue apportés par une élève de la classe. Je n’aurais jamais imaginé qu’au fil du temps je deviendrais aussi friande d’avocats. Et je peux aussi parler des nems, offerts souvent pour le 1er janvier ou pour la fête du Têt par des familles des corons. Quel régal ! De plus, quand on sait le travail que cela représente, on ne peut dire que « Merci les amis » !
C’est peut-être en arrivant au lycée à Moulins que j’ai réalisé que j’habitais une commune hors du commun. On parlait de Noyant comme d’une commune très particulière avec ses rapatriés venus de loin. Lorsque le car de Noyant était annoncé au micro de la cour du lycée, le vide se faisait dans les salles d’étude. Moi, j’étais interne et, chaque jour, je voyais les demipensionnaires arriver le matin et repartir le soir.
Je veux parler maintenant de mon adolescence. Cette période a été marquée par la création du groupe Jeunesse et amitié. Je n’ai pas le souvenir de son origine exacte, mais ce que je peux dire, c’est que j’ai vécu de merveilleuses années avec les membres du groupe. Il était composé de jeunes des corons et de Noyantais de souche, à peu près à égalité en nombre, je pense. Notre activité principale était la chanson contemporaine. Il n’était pas question de solfège, tout s’apprenait "à l’oreille", on choisissait des chansons, on écoutait encore et encore le disque et, non seulement on interprétait le chant lui-même, mais en plus, on reprenait souvent la mélodie musicale avec nos voix. Il faut dire que nous avions des musiciens extraordinaires (guitaristes, batteurs, chanteurs…). Nous avons aussi fait un peu de danse folklorique et nos mamans nous préparaient les costumes. Il y avait les piliers, je pense en particulier à notre regretté Louis Rauben (« Louiiiis » comme l’appelait sa maman), notre talentueux "grand chef", et beaucoup de jeunes sont venus à un moment ou à un autre grossir les rangs de notre groupe. Notre emblème était peint sur la batterie, il s’agissait de quatre mains entrelacées se tenant par les poignets, de couleur de peau différente symbolisant nos origines diverses.
Notre chanson préférée que nous ne manquions pas de chanter et de rechanter était, bien sûr, Enfants de tous pays et de toutes couleurs… Elle s’imposait dans toutes nos sorties. Nous participions à des concours dans des fêtes de jeunes et nous sommes devenus tellement « bons » (ce n’est pas nous qui le disions), que nous avons fini par nous produire hors
concours. Bien sûr, il y avait l’aspect "spectacle" qui nous prenait beaucoup de temps. Nous répétions pratiquement tous les samedis après-midi, nous n’avions pas à réfléchir, notre emploi du temps était tout trouvé. Nous nous sommes donné de la peine pour présenter des spectacles de qualité, mais que dire des relations, des liens d’amitié qui se sont tissés et qui perdurent encore aujourd’hui. Nous en avons organisé des sorties, des boums chez les uns ou chez les autres, des 1er mai au muguet, des journées passées ensemble en Mai 68 pendant les grèves), etc. ! Ce groupe a été l’occasion de faire se rencontrer non seulement les jeunes que nous étions, mais bien sûr aussi nos familles et beaucoup de Noyantais dans toutes leurs diversités.
Notre vie a été marquée d’une façon indélébile par cette période.
J’ai vécu également des moments très forts avec certaines familles, notamment quand on m’a demandé d’être la marraine de baptême et la marraine de confirmation de deux enfants des corons ; ou encore, lorsque nous étions invités à partager les repas dans des familles de réfugiés. Ces événements ont été pour moi
des signes probants d’une amitié certaine et d’une grande reconnaissance.
Il m’est toujours agréable, quand je reviens à Noyant, d’y croiser telle ou telle famille, souvent partie en région parisienne ou ailleurs pour le travail, et d’échanger sur tous nos souvenirs de jeunesse. Toutes ces familles ont gardé un attachement réel à leur village et beaucoup reviennent vivre au pays de leur enfance, notre commune, notre Noyant.
Il y aurait encore tant à dire mais pour conclure, je suis (avec beaucoup d’autres) fière et heureuse de compter de nombreux amis de Noyant, tout simplement.


Jean Massini

Mon arrivée à Noyant d’Allier… mon séjour Février 1964, l’année de notre arrivée en France et c’était aussi l’année du Dragon.
Plus de quarante ans après, le 19 mai 2012, me voici à Noyant, dans un lieu hautement
symbolique qu’est la mine à parler de l’arrivée des rapatriés français d’Indochine.
Voilà, le mot est lâché : "rapatrié", tout a été dit sur lui durant ces années ; retour au pays, qui sommes-nous, la colonie, la guerre… ma France à moi. Et on continue encore d’en parler.
L’exil, c’est ce qui nous caractérise.
Me voilà en France à l’âge de 14 ans et je ne la connaissais qu’à travers les images des livres scolaires. La maison dans la prairie, une route bordée de fleurs, des vaches blanches et noires et un ciel bleu parsemé de nuages blancs.
Or, ce fut un soir d’hiver que nous sommes arrivés à Noyant. Nous avons soupé chez
Ramillon, le restaurant du bourg, puis en route pour déposer les valises. Il faisait froid et
sombre, c’était notre maison dans les corons.
Je ne me souviens plus si la nuit était bonne, mais le matin de la première journée fut un
choc : des arbres sans une feuille avec des troncs "calcinés", le ciel était gris et pas une seule fleur ; à la place des blonds avec des tâches de rousseur, il y avait des bruns bridés, un peu comme moi.
La vie de tous les jours n’était pas sans encombre car avec le froid que nous découvrions, presque tout était différent : faire du feu au charbon de coke n’était pas évident, le lait frais que nous ne connaissions pas, le pain au quotidien et, surtout, apprendre à s’habiller chaudement avec des habits que nous n’avions pas… Il faut s’adapter.
Le temps n’était pas aux lamentations, mon père est parti chercher du travail à Moulins. Ma mère s’occupait de la maison, nous étions six frères et soeurs.
Les nouveaux voisins, en majorité des Vietnamiens, quelques Cambodgiens et Laotiens, la boulangerie, Mme Deschaumes qui passait avec son tracteur pour vendre ses fruits et légumes et le magasin Coop, tel était notre environnement immédiat.
L’école, que dire, si ce n’était que mon père m’y avait amené et qu’il allait falloir y passer la journée avant de rentrer le soir par le car. Je n’étais pas habitué à cela et ce fut la découverte du CEG de Tronget.
La sensation d’un univers différent commençait là. Tout vous semble abstrait, le regard, la manière de parler, les jeux, les gens ne fredonnaient pas les mêmes chansons et il y avait des blonds aux yeux clairs. Nous étions une poignée de Noyantais.
Le temps passait et je m’apercevais qu’on n’avait pas une bonne presse. Il y avait une
certaine rivalité entre nous et les gens des villages alentour. Alors on se retranchait derrière la communauté et certaines plaisanteries ne passaient pas très bien. On s’échangeait des mots, voire de très gros. Je ne comprenais pas toujours ce qu’on me disait, alors cela finissait en bagarre et les punitions tombaient.
En classe, c’était terrible quand vous êtes interrogé par le professeur et qu’il vous demandait de passer au tableau, d’être vu par tout le monde et qu’on ne perçoit que vos défauts. J’en avais honte.
Mois après mois, certaines têtes blondes sont devenues mes amis et j’acquérais d’avantage de mots dans mon vocabulaire. Mais c’était dur. Lorsqu’un jour, peu avant l’examen du certificat d’études, devant tout le monde, le proviseur m’a dit : « Tu iras chercher ton diplôme au bout d’une perche », je ne comprenais pas le sens de ses propos et comme les gens rigolaient, alors moi aussi j’ai ri.
Mais l’examen fut une réussite et, par-dessus tout, je fus primé. J’étais inquiet à l’appel de mon nom et n’osais pas me présenter, alors que c’était pour l’attribution d’un prix. Ils m’ont vu arriver, m’ont regardé, j’ai pris le paquet et je suis reparti sans même leur dire merci. C’est drôle, il n’y avait pas de rires.
Je n’avais pas de sentiment particulier ce jour-là… C’était flou. Je n’étais pas spécialement attiré par l’école, mais je voulais ressembler aux autres pour ne pas avoir honte. J’étais de Noyant, mais surtout des corons où se côtoyaient essentiellement les gens d’origine indochinoise. Il y avait une hiérarchie selon l’ancienneté de votre d’arrivée, l’âge et surtout le physique car on ne mettait pas les pieds aussi facilement partout. Ce n’était pas écrit, mais on vous le faisait remarquer.
Les corons, c’était notre village ; au-delà, les autres, ceux qui ne nous aimaient pas et qui nous donnaient des ordres. En tout cas, on s’en persuadait.
Noyant, c’était le bourg où l’on allait le dimanche à l’église, sa mairie, les magasins et, bien entendu, le marché où nos mamans se retrouvaient les mercredis. La gendarmerie à éviter. Les jeudis, on allait à la maison des jeunes regarder la télévision, faire quelques parties de tennis de table. Juste à côté, c’était la buvette et ses bons Carambar. Nos pères aimaient bien ce lieu, surtout en fin de semaine, pour des joutes verbales et des parties de pétanque, le tout arrosé de quelques bouteilles de vin comme il se doit. Ce n’était pas de l’alcoolisme, c’était une assemblée où régnait toutes sortes de démocratie et le vin leur servait de lien.
Le stade de football, c’était quelque chose de géant, je passais des après-midi entiers à
jouer au ballon avec des copains. Son équipe nous faisait rêver et le jour où j’ai pu en faire partie moi aussi, j’y ai rencontré des gens, autres que ceux des corons. Ils s’appelaient ou s’appellent encore Citon, Bogacz, Broda, Szymonik. L’équipe de football nous a réunis et c’est ainsi que les Adan, Talons, Da Sylva, Rauben, etc., ont pu jouer ensemble. Les adversaires s’en souviennent encore.
Des rencontres, il y en a eu d’autres, avec le groupe Jeunesse et amitié amené par le
regretté Louis Rauben. Ils ont tous, quelque part, à un moment donné, contribué à mon
intégration.
Si je ne parle pas beaucoup de nos mamans et tatas c’est pour éviter de tomber dans du Zola.
C’est tellement personnel, leurs mérites sont immenses. Elles sont présentes dans toutes nos réussites d’hier et aujourd’hui.
Il ne s’agit pas de faire de l’angélisme, je suis conscient des difficultés dues aux chocs des cultures, de la peur de l’inconnu et de la quête d’identité. Quitter un pays où l’on a grandi sans espoir d’y revenir, pour un pays qu’on ne connaît pas, c’est l’exil.
En l’an 2006, pour ne rien oublier, avec une bande de copains, nous avons voulu et organisé le Cinquantenaire de l’arrivée des rapatriés… pour remercier nos papas et mamans. Nos amis, français de souche ainsi que ceux d’origine polonaise, étaient à nos côtés pour se rappeler des bons comme des mauvais moments, d’un souvenir déjà lointain.
Noyant aujourd’hui se conjugue avec sa pagode et son petit restaurant. Les maisons des
corons sont embellies à ne plus en finir, les enfants et petits-enfants, certains sans avoir
réellement connu Noyant, sont revenuspour en faire l’acquisition. C’est peut-être le début d’une autre histoire.
C’est Noyant que je ne connaissais pas !




Pjilippe Bogacz

Après ma naissance à Moulins, à l’âge de 3 ans, mes parents sont venus habiter à Châtillon.
Je suis petit-fils de mineur polonais.
À Noyant, un de mes premiers souvenirs d’enfance est un choc esthétique très fort en voyant arriver sur la place du bourg des femmes vietnamiennes en tenue traditionnelle.
Souvent en groupe, certaines de ces femmes parlaient fort et accompagnaient leurs paroles de gestes et de rires bruyants.
Ce choc esthétique s’est doublé ensuite de la découverte de la langue. Puis enfin d’une
culture propre, manifestée d’abord par la cuisine lors des fêtes du Têt, puis par la spiritualité à la pagode ...
Parallèlement, vers mes 17 ans, mon père décide d’aller voir son frère en Pologne.
Ce voyage est une découverte d’un pays encore et toujours en reconstruction, ravagé par les conflits politiques, les désillusions, l’alcoolisme latent…
Pendant et après la guerre, ce sont les femmes qui ont "tenu" le pays. Elles continuent
d’occuper une place discrète, mais forte, dans les familles. Elles contribuent à organiser la solidarité dans le voisinage.
C’est surtout cela qui ressortira de ce voyage : la solidarité et des vies dures mais
chaleureuses.
Plus tard, quand j’irai travailler et vivre à Paris pendant huit ans environ, je trouverai dans le cosmopolitisme quelque chose de familier !
Ce brassage sera de nouveau quelque chose d’excitant et synonyme de richesse et
d’ouverture.
À Noyant, notre originalité vient de nos origines multiples. C’est en sortant de Noyant que nous avons découvert que nous étions atypiques. Moi, je pensais que tous les villages étaient comme le nôtre !
Nous sommes issus de cet ensemble multiple. Nous formons une mosaïque bigarrée,
colorée, un ensemble de cas particuliers avec chacun ses origines au sein du même village.
Notre village, c’est notre histoire, nos racines, notre fierté, notre empreinte, notre identité,
notre signe distinctif.
On est de Noyant, on naît de Noyant.