Quatrième Groupe La vie dans les années 1960-1980 1ere partie
Jacques Joubert

Je me souviens…
D'un immense curé, le Père Benet et son béret, qui nous apportait des poires de son jardin, et qui s'appliquait à réciter l'Ave Maria et le Pater Noster en un vietnamien monocorde et étrange, avec son accent rocailleux tout le long de la procession, sous les giboulées...
Du secrétaire de mairie, M. Bourachot, toujours souriant et m'appelant par le prénom de mon frère Félix, et vice-versa...
De la famille Bogacz, en face, avec leur Celtaquatre, et le cadet qui criait : « Mang giày bốt » (« Porte des bottes ») en guise de « Bonjour » quand il nous croisait dans l'allée...
Des fermières venues sur la place du bourg, le mercredi, pour vendre des oeufs et des
poulets, sceptiques devant le mot "vietnamien" et persistant à nous appeler "les Chinois". Elles me rendaient la monnaie et disaient : « Merci, mon gros », moi qui était maigre comme un clou.
Je trouvais qu'elles avaient beaucoup d'humour...
Des "đầu cá" (têtes de poisson), surnom des gendarmes, car deux d'entre eux s'appelaient réellement Rat et Poisson, toujours sur la brèche, avec la tactique, alors que les villages alentour n'avaient plus de gendarmerie...
De cette institutrice dont j'ai oublié exprès le nom, qui nous interdisait d'employer cette
« langue de sauvage », peut-être parce que ses élèves malicieux chantaient « Ăn con tôm, ăn con tép » (« Mange la langouste et la crevette ») en pouffant, au lieu de « Mironton, mirontaine ». Elle quitta Noyant pour Yzeure où Malbrough était mieux respecté...
De ces dames anonymes du Secours catholique de Moulins, installées à l'école libre les
jeudis, qui nous apportaient de vieux habits d'hiver avec gentillesse...
Comme si c’était hier.
Jacques Joubert, 12 ans.

Philippe Loupy

La famille est arrivée à Noyant, au printemps de l’année 1960. Le temps était beau. Ni chaud, ni froid. Les arbres, les champs entourés d’arbustes et d’épineux étaient en fleurs. La nature renaissait, une nouvelle vie commençait sans trop d’inquiétude.
Noyant, avec les corons et leurs allées en terre battue, les rapatriés et leur façon de vivre, n’était pas si différent que cela des villages du Laos et du Vietnam. On y élevait des poules, des canards, des oies, des lapins, des chèvres…
Après tout, partir, c’est découvrir. J’aime les voyages, les découvertes. J’étais peut-être en quête d’universalité.
Désenchantement
Mes parents, soucieux de mon avenir, m’envoyèrent en pension, au collège du Sacré-Coeur de Moulins, m’autorisant à sortir une fois par mois et pour les vacances. Quant à moi, je pensais rentrer plus souvent à la maison, je m’imaginais prêt à parcourir les 20 km en courant pour satisfaire mon rêve : Noyant-Moulins, Moulins-Noyant, ce n’est quand même pas Noyant- Saigon ou Noyant-Savannakhet. De mes quatre belles années passées au Laos, j’ai aimé la liberté, la vie facile, insouciante ; je ne supportais plus l’enfermement, les emplois du temps stricts, sans concession. Cela se ressentait dans mes études et je décrochais au fil des années.
Enchantement
J’ai aimé Noyant, mon lieu de villégiature, de liberté, d’oubli. Je retrouvais mes jeux d’enfants, les jeux rapportés de Savannakhet (Laos) ; les matchs de football se terminaient à l’heure du dîner : je me défoulais parfois jusqu’à l’épuisement. Au Vietnam, ne dit-on pas que l’homme n’est complet que quand il joue ? « Le bonheur consiste dans le loisir. » (Aristote)
Il y avait aussi les corvées : nous aidions notre mère à faire la lessive car la grande bassine était vite remplie de linge sale avec sept personnes à la maison, à jardiner, à désherber, à aller chercher le son chez le meunier pour nourrir les volailles.
Retraite et mois d’été à Noyant, le bonheur est dans les prés.
Entre-temps
Josiane Petiot me rappelait que Papa était le premier Franco-indochinois à être conseiller municipal et que maman était institutrice à la maternelle…
Une pensée à nos parents dévoués.



Julien CVT

[J’ai écrit ce texte six mois après le décès de ma mère, en 2006.]
Aujourd’hui, je me décide enfin à commencer ce que reportais depuis tant d’années : écrire mes souvenirs.
Ma mère est décédée. Je suis allé sur sa tombe, nouvellement installée, le week-end dernier.
Il m’en aura fallu du temps pour "digérer" cette absence. Ne plus la voir après tant d’années, alors qu’elle était si présente dans nos coeurs et dans nos vies. Elle qui cultivait la terre et qui s’émerveillait de la beauté des fleurs qu’elle plantait, des légumes qui poussaient dans son
jardin, n’a plus eu le loisir de contempler les choses simples de la vie car elle avait perdu la vue ces dernières années, suite à un diabète mal soigné. Jardin qui était le seul loisir qu’elle avait depuis son arrivée sur cette terre auvergnate.
Etait-ce le seul moyen de s’enraciner sur cette terre qui n’était pas la sienne, mais qui
l’accueillait ? Etait-ce pour elle le fait de s’ancrer dans cette terre afin d’en être les premières racines, de cette nouvelle génération dans ce village ? Ce village, elle a tout fait pour ne pas partir de Noyant. Elle a tout fait pour mourir chez elle : la dernière semaine, alors que mon frère l’avait ramenée de l’hôpital de Moulins, elle avait tellement peur qu’on ne la renvoie mourir à Moulins, qu’elle cachait sa souffrance au docteur et à l’infirmière. C’est mon frère qui a demandé au docteur de la mettre sous morphine afin que ses derniers jours soient moins difficiles.
C’est un pan de notre histoire qui part, nous sommes maintenant les dépositaires de cette histoire, nous n’avons plus d’excuse pour ne plus parler d’eux. C’est notre devoir de relater, de sauvegarder et de transmettre ce qu’ont vécu nos parents, les rapatriés d’Indochine.
Le premier souvenir de ma vie fut lorsque mon frère aîné, Jean-Paul, perdit ses sandales du bateau qui nous ramenait en France en 1959-1960. Ma mère, enceinte de mon petit frère Marc, le mit au monde à Marseille. Ville où nous ne sommes restés que quelques mois, car nous fûmes envoyés à Le Vigeant, un camp militaire abandonné, aux environs de Poitiers… La famille était alors constituée de cinq enfants, mes deux soeurs, Mado et Henriette, et mes deux frères, Jean-Paul et Marc. Nous habitions dans ces baraquements militaires, sans chauffage. Il faisait tellement froid que nous dormions tous ensemble afin de nous réchauffer. Nous avions un seul réchaud à alcool afin de chauffer l’eau et faire la cuisine.
Puis, aux environs du mois de juin 1962, un TUB Citroën vint chercher toute la famille pour nous emmener à Noyant d’Allier.
Noyant d’Allier, petit village du Bourbonnais, dans le Massif central, en plein centre de la France, dont les corons ont été délaissés par les mineurs, principalement polonais, pour aller s’installer ailleurs, à Saint-Hilaire… où le charbon était encore exploitable et rentable.
Noyant d’Allier où des années durant, j’ai vu partir tous mes amis, les premiers pour Sainte- Livrade ; puis, ensuite, ceux dont les parents réussissaient à s’extraire de cette pauvreté en trouvant du travail à Paris ou à Lyon et qui emmenaient leurs familles loin de ce village, symbole alors de tant de souffrances, d’espoirs déçus par la France qui n’aura pas tenu sa promesse de les aider à s’installer et à vivre dignement.
Les familles les moins bien loties, les plus pauvres peut-être aussi, les plus attachées à ce
village sont restées à Noyant. Elles ont donné à ce village leur histoire en s’enracinant dans cette terre bourbonnaise, leurs corps reposent dans les deux cimetières du village.
Bientôt, il ne restera plus aucune personne de cette génération. Nous n’aurons plus que leurs tombes à fleurir et les souvenirs comme les senteurs de ce passé qu’ils auront écrits de leurs larmes, de leurs sacrifices d’avoir pris la décision de partir d’Indochine, quitte à passer pour des traîtres vis-à-vis des leurs, de nous avoir élevés avec le peu de moyens dont ils disposaient
dans d’aussi grandes familles (la moyenne dans ce village était de neuf enfants).
L’enfance et l’école : mes premiers souvenirs, mes premières images:
Ma première rentrée des classes avec tous les enfants un peu partout, pleurant et ne voulant pas lâcher les mamans. Et moi, un peu perdu dans tout ce vacarme ! Je me suis retrouvé dans la classe de maternelle avec Mmes Loupy et Laronde, ne comprenant pas du tout ce que je devais faire ! De plus, je n’avais d’yeux que pour la chevelure blonde de Juliette Strobbe ! Ce visage d’Eurasienne avec ces cheveux d’une blondeur… De cette première année, ce sera le seul souvenir qui me restera, à part peut-être le fait que j’avais peur de Mme Loupy…
Années suivantes:
M. Goujean. Que dire de M. Goujean, si ce n’est qu’il fut le plus gentil des instits, je ne me souviens pas d’avoir été puni par lui une seule fois ! Il délivrait des bons points aux plus méritants et je ne pense pas en avoir reçu souvent. Le plus récompensé fut, je crois, mon voisin de classe, Jean-Paul Smiesko.
Les Smiesko. Je ne peux pas les passer sous silence tant ils furent des voisins délicats,
amicaux et gentils. Leur fils aîné, Jeannot, nous a tout appris à mon frère Jean-Paul et moi (faire les lignes de cannes à pêche avec rien – des bouchons de liège ou à partir d’une plume d’oiseau –, monter les hameçons, braconner dans la Queune, la rivière du village voisin, Châtillon, tuer les lapins…).
Mme Bougnol. Je ne comprenais pas pourquoi les élèves se disputaient le premier rang dans sa classe et faisaient tous tomber leurs crayons ou leurs gommes ! Pour pouvoir entrapercevoir sa petite culotte… que je n’ai jamais vue, je crois !
La fin des classes. À la fin de l’année scolaire, on déchirait les cahiers de classe et l’on en faisait des avions de papier qui volaient partout dans la cour de l’école.
Jean-Claude Levieux. J’ai une tendresse particulière pour Jean-Claude Levieux car, quand je pense à Noyant, je revois sa grande silhouette, son béret et son costume. Je n’ai jamais su ce qui lui est arrivé, mais il restera toujours pour moi le symbole de ce village. Pendant des années, dès que j’arrivais à Noyant, par tous les temps, il était toujours là, au bout de son coron, à attendre je-ne-sais-quoi, je ne sais qui. Au début, il nous faisait un peu peur avec toutes ses montres autour de ses deux bras, avec tous les mégots de cigarettes dans ses deux poches et toujours le mégot dans la bouche ; mais qu’il était gentil avec nous, les enfants !
Même lorsqu’on l’embêtait, jamais il ne se rebellait. Jamais il ne nous a repoussés, n’a fait de remarques sur nos différences. Il tournait simplement les talons et partait.
Lorsque j’ai fait un site Internet sur Noyant, je savais qu’en le mettant en fond d’image de ce site, beaucoup se souviendraient de lui, de notre enfance, de ce que nous avons vécu ici. Des moments douloureux certes, mais aussi des moments tendres, qui ont forgé notre identité.

Conclusion [ajoutée pour la journée du 19 mai 2012]
Cette journée nous permet de faire un bref retour sur ce village et, à travers nous, je pense, sur l’histoire coloniale française et la question que chacun de nous se pose : « Qui sommes nous, des Français d’Indochine ou des Vietnamiens de France ? »
Cette question, chacun de nous se l’est-il posée ? Chacun de nous a sa réponse.
Mais je crois que ce qui nous réunit tous, n’est-ce pas ce parfum d’enfance – comme l’a
évoqué l’écrivain américain Robert Olen Butler, dans son recueil Un doux parfum d’exil –
quand, dans nos moments de doute, de tristesse, l’envie nous prend de revenir à Noyant, de nous prélasser dans l’herbe d’un champ. Puis, machinalement, prendre une paille et chercher un trou pour en extirper un grillon que l’on jettera dans l’enfer d’une boîte métallique pour qu’il se batte contre un congénère et d’entendre ce doux chant qui sort de cette boîte.
C’est cela, pour moi, être Noyantais.


Dina-Corinne Azzouz

Etre de Noyant c’est, pour certains, les plus jeunes d’entre nous, y être "nés" ou, pour les plus anciens, y être "arrivés" un jour. Un jour de janvier, en plein hiver, et découvrir le sol de France.
C’est le moment qu’ont subi certains d’entre vous en arrivant sur ce sol avec peu de bagages et beaucoup d’enfants.
Les familles venues de la vieille Indochine ont trouvé un monde auquel personne ne
s’attendait. Ce monde était celui de la France post-coloniale qui cachait ses erreurs en cachant les gens dont elle avait le devoir d’intégration à sa population hexagonale.
Même si la comparaison historique paraît osée, ces moments privés de l’histoire nationale, nos amis les Harkis la connaissaient aussi ; dans les environs il y a la trace encore de cette période dure à supporter, dure à exprimer.
C’est aujourd’hui toute la force de ce rassemblement, le premier qui se tourne vers la
mémoire et j’en salue l’initiative. Merci au Musée de la Mine, merci Josiane, merci à Benjamin Moineau, merci Edouard, merci à tous.
Savoir se souvenir, oser dire, raconter son histoire n’a pas été des plus faciles pour les
parents. D’abord la barrière de la langue, l’isolement social, la lourde charge de faire vivre sa famille qui pesait désormais sur les pères, tout cela n’a pas laissé de temps aux causeries du soir pour transmettre le fil conducteur de l’aventure des vies de chacun. Les vieux, ça ne parlait pas beaucoup, sauf à la buvette… et nous, on piquait des bonbons.
Au gré des années, ensemble, les enfants ont grandi sur les bancs des écoles. Ah, là on ne rigolait pas tous les jours ! Pas question de parler une autre langue que le français dans la cour, sinon : pan ! la punition et du genre 100 lignes ; une vraie corvée ! Ah les garçons se souviennent certainement de l’encadrement sévère de leurs maîtres.
Moi, je me souviens surtout des moments généreux dans cette école. Les classes
surchargées, les classes d’âges empilées dans une même section. Cela donnait souvent des moments de franche rigolade.
Madame Blanchet, vous êtes là, parmi nous ; je me souviens agréablement de vous : une
instit toujours souriante, disponible et qui partageait souvent nos éclats de rire. Dans cette classe où j’ai été accueillie en cours d’année, je me rappelle : d’Eliane Saint-Léger, un bouteen- train ; de Lan Da Silva, qui coiffait toujours ses cheveux ; des soeurs Truong que l’on confondait ; de Sonia Joubert, toujours en retard ; de Martine Szymonik et Joëlle Duret, assises derrière moi ; de Madeleine Dietrich avec qui je partageais la table… et les bavardages.
Et puis il y eut la classe qui nous ouvre la porte du village ; la classe de la directrice,
Mme Debost, une dame qui accomplissait son travail avec acharnement en gardant parfois le soir des élèves pour les soutenir vers l’entrée du collège.
À l’époque, rentrer au collège était une promotion sociale.
Dans cette classe, j’ai découvert le stylo à quatre couleurs que certaines utilisaient pour
tricher lors des corrections… Il fallait corriger en vert et moi, je changeais de stylo et j’en voyais qui possédaient le sésame.
Josiane Petiot-Touzery me rappelait récemment que je la bousculais de bons coups de coude pour obtenir les réponses en maths ! Chère Josiane, sache que si l’on m’interroge, là, sur uneéquation ou un théorème, je recommence tout de suite !
Je ne saurais clore le passage à l’école de la République sans remercier ces équipes
d’enseignants qui ont porté l’effort d’apprendre comme on porte le fer pour défendre ses valeurs.
Noyant, un village que l’on visite maintenant, mais qui faisait peur à l’étranger. Et pourtant, que de simplicité, que de bonheur dans les ruelles des corons boueuses sous la pluie et poussiéreuses sous le soleil à galoper les uns après les autres à pied dans nos tongs, sur nos vélos sans frein ni lumière, parfois même sans pédale, juste un bout de planche ficelé serré. On en oubliait la faim.
Ces moments de grande liberté se font plus audacieux à l’adolescence ; on s’aventurait à l’étang de Moncoulon, au petit bois, au bord de la Queune, bref on sortait de la vue des adultes.
Je n’en dirai pas plus.
Arrive l’âge du droit de vote, des responsabilités. Ferons-nous des études ? Irons-nous à l’usine de nos pères ? La crise des années 1970-1980 a frappé Moulins, la ville aux usines qui nous faisaient vivre. Peu d’entre nous iront au-delà du lycée. Finies des familles réunies. Il faut partir loin pour travailler, vers les très grandes villes, Paris, Lyon, Marseille. Un deuxième exode se profilait. Il a fallu partir.
Les grands, nos aînés, nous ont ouvert la voie et ont permis à la seconde génération
d’aborder la vie active en s’appuyant sur eux. Par ma part, j’ai pu compter sur la famille Larget, mon roc ; des copains comme Petit Paul, Jean-Claude Apavou, mon ami de toujours, Louis Foropon, Jean-Jacques Strobbe et tant d’autres.
Je repense avec affection à Mme et M. Foropon qui nous ouvraient leur maison pour organiser des après-midis délirants ; je pense à notre cher facteur, M. Paul Apavou et je n’oublie pas son fils René et son petit-fils Franck, disparus et enterrés à ses côtés.
Pour ne pas rester sur une note triste, je pense qu’aucun n’a oublié la voix, telle une sirène hurlante, de Mme Apavou rappelant ses fils au bercail.
Je me souviens aussi de ce facteur à moustaches et à casquette qui livrait le courrier en vélo et qui, en juillet n’en descendait plus pour ne pas perdre une miette du déroulement du Tour de France qu’il écoutait à la radio posée sur le guidon de son vélo…
Près de la poste d’aujourd’hui : Docteur Moreau ! Un personnage extraordinaire ! Chez lui, lors d’un goûter avec sa fille Agnès, j’ai découvert le goût du yaourt…
Aujourd’hui, j’habite rue des Lilas. Ça ne veut rien dire ! J’habite la maison Pageot, le coron Massini, Moussu, Labatut… On ne disait pas « Je vais au bourg », mais chez Erkens, chez Joubert, et chez Goût dans les corons. Les allées portaient le nom de nos amis Adam, Corad, Borel, Mougammadou, Abdoul… et c’était finalement plus simple que la dénomination actuelle, sorte de parc floral dans lequel on se perd ! On continue d’ailleurs à traduire ces noms de fleurs en noms de personnages : celui de Banjo, le don Juan ! Le coron de la Coop ; tiens, encore un personnage dont le camion roulait en zigzag en fin de journée… les filles ne peuvent l’oublier…
Je pense aussi à notre vieux curé, l’abbé Benet, qui arpentait le village sur son vélo à la façon de Don Camillo ; il veillait sur nous et ne cherchait pas à embrigader les âmes (Martine Périllat et la messe buissonnière).
Nos maires ? Ils nous ont plutôt marqué par leur distance…
On se souviendra bien sûr de M. Desfougères qui patronna la construction de la pagode.
C’était un premier pas vers l’autre, vers la culture de l’autre, vers le partage de cette culture.
Construire cette pagode ce fut un pas vers la tolérance, l’acceptation des différences et le partage. Les gens des corons commençaient enfin leur intégration à la vie locale. Combien d’années avant d’être regardés dans la bonne dimension !
Aujourd’hui, les choses avancent encore avec Michel Lafay ; il vient parfois dans notre
quartier, il nous reconnaît, nous tutoie. C’est une figure aussi. Il a un côté Francis Perrin avec ce sourire accroché au visage. Le conseil municipal a des élus des corons…
La proximité, c’est finalement ce qui nous aura le plus manqué pour faire de ce village typique une vitrine du département.
Noyant, c’est des gens venus de Pologne comme Marie Curie, du Maghreb comme
Gad El Maleh, des Antilles comme Lilian Thuram, des Indes, de l’Indochine et tous ont des racines dans le pays de France. Nos racines à nous, les descendants, sont ici ; Noyant est notre terre d’accueil, nous l’avons entraîné dans des tourments parfois avec les amis Popeye, Emilien, Marcel… mais nous y sommes attachés.
J’y ai récemment revu Gaby Robin qui fut connu dans ses missions de bodyguard ; je me souviens aussi de Roger Paschy, champion de karaté, tant de fois primé mais jamais félicité à Noyant ; ils sont pour moi des grands frères ; ils m’ont initiée aux arts martiaux.
Avant de conclure, je veux dire mon lien étroit avec cet autre camp, celui de Sainte-Livrade où je compte autant d’amis qu’ici et avec qui je travaille sur la mémoire des familles dans le Lot-et-Garonne. Je veux par la pensée les associer car, ici, ils ont des cousins, tout comme les orphelins de la FOEFI. À Sainte-Livrade, la mémoire du camp se fait. Noyant ne pourrait-il pas renouer/nouer des liens avec Sainte-Livrade par un jumelage ?
Monsieur le maire, Madame la présidente du du Conseil général, un partenariat entre ces deux villes serait une reconstruction des vies, une réconciliation.
En conclusion, pour quelqu’un qui n’a pas de famille ici, j’y ai certainement la plus grande, la plus belle, la plus solide, celle de l’amitié et de la confiance partagée.
À Paris je suis née, à Noyant je suis arrivée. Noyant est mon berceau..





Edouard Brassecasse

Rapatriement, transplantation, exil.
Tout ayant été dit pendant cette journée, je ferais de la redondance si je vous lisais mon texte.
À la place, je propose d’ouvrir une perspective, en abordant les aspects particuliers de notretransplantation. Notre rapatriement, par bien des aspects, était une transplantation, je dirais même, un exil.
L’exil est une transplantation dont la personne concernée ne voit pas la destination, ni le but.
Elle doit partir, repartir encore. Et continuer sans réponse à ses questions.
L’exil, c’est le fait de "repartir de zéro", de recommencer au bas de l’échelle, de reconstruire son image, en subissant le sort de la personne et précaire et étrangère.
L’exil, c’est une lourde rupture, une perte de liens, un éclatement de la famille élargie. Sur le quai du départ vers la France, j’ai été traumatisé par les larmes abondantes de mes tantes et leurs enfants et par l’éclatement en pleurs de toute ma famille, sur le bateau. À cette époque, nous étions sûrs que nous ne reverrions jamais notre famille, tout comme les personnes familières restées là-bas.
Quand on est dans la spirale de l’exil, il y a toujours un prix à payer.
Le prix de notre exil, c’est qu’une partie de la famille, la plus âgée, est sacrifiée.
La réalité de l’exil, c’est que mon père a dû travailler jusqu’à l’âge de 70 ans, que ma mère a travaillé jour et nuit, sans week-end ni vacances, et que mes grandes soeurs ont dû arrêter leurs études pour que nous puissions continuer à étudier.
L’exil, ce sont ces exigences d’adaptation qui modifient la personne.
Nous avons dû changer de température, de nourriture, de vêtements, de langage, de
comportement, d’amis. Je me souviens de mes mois d’école à Châtillon. Nous n’étions que trois familles de rapatriés. Ma maîtresse était agréable et efficace. À la récréation, on nous demandait de ne pas parler vietnamien et de ne pas rester entre Vietnamiens.
Je comprenais le bien-fondé de cette demande : pour devenir un bon Français, il faut s’y
mettre un bon coup ! Mais ne faut-il pas une transition, et jusqu’à quel point peut-on changer une personne ?
Jusqu’à quel point peut-on changer nos habitudes ? Jusqu’à quel point peut-on changer nos traditions, nos croyances ? Au point de nous couper de nos parents ? Au point de nous couper de notre histoire ?
Nous sommes faits de nos vécus, de nos histoires. Nous ne sommes que des histoires !
Quand je pense à nos années difficiles, nos dix premières années, je change
immanquablement mes lunettes roses pour des lunettes grises. Je me demande si c’est normal.
Quelqu’un a été marqué toute sa vie par l’exil, vous le connaissez, c’est Claude François. Sa famille vivait en Egypte, son père travaillait sur le canal de Suez. Quand l’Egypte a nationalisé le canal de Suez, le père a perdu son emploi, la famille a dû partir pour la France. Un rapatriement qui a été vécu comme un exil.
Toute sa vie, il a traîné un mal-être, une nostalgie, une hargne, à la suite de ce
bouleversement, et ce malgré le succès, l’argent, la reconnaissance et l’amour de son public.
C’est peut-être banalement cela, un exil.
En 1961 dans notre maison
Notre maison dans les corons comportait une cuisine et deux chambres. Nous étions douze au total ! Notre maison n’avait pas de terrasse ni d’allée en ciment.
Quand il faisait mauvais, nos nombreuses allées et venues salissaient la cuisine. Le ménage n’était pas la priorité dans la nombreuse liste des tâches.
Notre maison n’était pas en bon état et, en plus, elle n’était pas propre. Nous habitions la dernière maison du premier coron. À l’époque, l’assainissement collectif à base d’égouts n’existait pas encore. L’évacuation fonctionnait avec un caniveau, juste devant la maison. En tant que dernière maison, en bas de la pente du coron, nous voyions passer toutes les eaux usées du coron devant la porte de notre cuisine. En cas d’affluence, ou simplement de pluie, le caniveau débordait dans notre jardin. C’était gênant et dégoûtant.
Notre unique point de chauffage, pendant les premières années, était la cuisinière à charbon dans la cuisine. La chambre contiguë à la cuisine était peu ou prou chauffée, la chambre à l’étage pratiquement pas, malgré le fait de garder en permanence ouverte la porte de l’escalier menant à l’étage. Le froid était vraiment un problème.
Tout se passait dans la cuisine : la préparation du repas, le repas, la vaisselle, le lavage du linge, le repassage, la toilette, le bain, le travail scolaire, sans oublier la réception des
personnes venues rendre visite.
Un an et demi après notre arrivée à Noyant, ma mère a arrêté de déprimer et de se lamenter, et s’est mise à travailler. Elle s’est lancée dans la fabrication, dans la cuisine, de sucreries aux cacahuètes. Puis elle s’est lancée dans le soja germé. (Par la suite, elle a fait le commerce des poulets, des nems, etc.). Il y avait un gros travail à trier le soja germé de sa capuche verte.
Nous le faisions en famille, assis autour de la table, pendant des heures ; et tout cela se passait aussi dans la cuisine.
Dans notre business familial, je suis, avec ma maman, celui qui allait prendre les commandes, et faire les livraisons. Plus tard, mes frères ont aussi assumé ce rôle. Suivant le commerce de notre famille, les tatas m’appelaient, en vietnamien, « le fils de celle qui vend le soja », « le fils de celle qui vend le poulet », etc.
Mes grandes soeurs étaient confinées dans la maison, elles devaient travailler tout le temps et n’en étaient pas heureuses. Nous n’avions pas encore l’eau chaude. Le lavage, le nettoyage se faisaient le plus souvent à l’eau froide. Pour les grandes lessives et pour le bain en hiver, il fallait faire chauffer l’eau dans une grande lessiveuse. Inutile de dire que la cuisine était pleine de vapeur qui se déposait en humidité.
J’étais un enfant sage, content de participer aux tâches de la maison. Ma mère voulait bien que je balaie, mais pas que je participe à la préparation des repas, ni que je lave la vaisselle ou le linge. Elle disait que ce n’étaient pas des tâches pour un garçon.
Comme mes grandes soeurs, j’avais interdiction de passer notre portail. Pour aller dans la rue de notre coron, il fallait demander la permission et être accompagné. Ma mère dirigeait sa troupe d’enfants d’une main de fer. Elle considérait que, dans la rue, il n’y avait rien de bon à apprendre ni à faire. Pour elle, les lieux bénéfiques aux enfants sont soit la maison, soit l’école. Comme tout le monde, mon père s’est mis au jardinage et a pu se faire prêter un bout de terre. Puis il s’est mis à élever des poules et des lapins. Ces initiatives, salutaires pour nos finances, ont augmenté encore le travail pour les enfants.
En 1961 dans les corons
Dans les corons, les rues n’étaient pas encombrées de voitures comme aujourd’hui. Il n’y en avait pas. La plupart du temps, on se déplaçait à pied, puis, de plus en plus, à vélo et, plus tard encore, en mobylette. Il y avait plein d’enfants et plein de jeunes. On entendait parler vietnamien « dans tous les coins ».
Comme les gens des corons allaient à pied faire leurs courses au bourg, la rue était l’endroit où les grandes personnes se rencontraient et passaient du temps ensemble. Par beau temps, et les soirs d’été, on se promenait beaucoup, grands et petits. La rue de la Mine devenait alors un véritable boulevard pour les piétons.
La scène ci-dessus ne doit pas faire croire qu’on travaillait peu et « qu’on se payait du bon temps ». L’ambiance était au travail. Et du travail, grâce au boom économique, il y en avait. Il y avait ceux qui, comme ma mère, font des petits boulots à domicile : fabrication de nourriture ou vente de produits. Je revois encore M. Saint-Léger faire des livraisons de journaux, avec sa mobylette, jusqu’à un âge avancé, malgré sa maladie de Parkinson : un courage admirable !
Dans les corons, il y avait de la solidarité. Quand une nouvelle famille arrivait, les voisins
venaient donner un coup de main ou aider dans les démarches. Quand quelqu’un mourait, en vue de participer aux frais d’enterrement, la communauté se mobilisait pour quêter de l’argent.
En 1961 au bourg
Le bourg de Noyant comportait plus de commerces qu’aujourd’hui et était animé. Il y avait, par exemple, l’épicerie Egé, qui n’est plus là.
Je me souviens du système comportant un grand plateau fermé de barrières métalliques où l’on faisait peser les animaux, de la grande mare sur un coin de la place et du maréchal-ferrant, pas loin de la boulangerie.
Je me souviens de mon école telle qu’elle était.
Enfin, je me souviens de l’église, très fréquentée par les paroissiens. Je crois qu’il y avait des offices tous les jours. Je me souviens aussi des séances de confession et de l’émouvante procession du chemin de croix autour de la nef, le jour du Vendredi saint.
Familles nombreuses
La famille nombreuse était typique des rapatriés.
Avec dix enfants, notre famille était bien placée, mais nous étions assez loin du record, celle de la famille Pageot avec vingt et un enfants. La famille Saint-Léger défendait bien les couleurs des Français de souche avec dix-sept enfants.
Il y avait des jours où je trouvais chalereux d’être une grande famille ; il y avait des jours où j’enviais les familles françaises, moins nombreuses. Je finissais par me dire que d’avoir tant d’enfants, c’est bien quand on est riche, mais handicapant quand on est pauvre.
P.S. : Quand le général de Gaulle avait, en 1945, demandé à la France de faire douze
millions de bébés pour rattraper les pertes de la guerre, il aurait dû le demander seulement aux riches.
Les puces
Avant 1965 et les plaquettes Vapona, ma famille, comme les autres des corons, a souffert des puces. C’était très pénible, très désagréable ! Quand je sentais une piqûre, je devais enlever mes habits pour attraper la puce, sinon elle continuait à piquer. Quand j’apprenais une leçon, les piqûres m’empêchaient de me concentrer. Quand je dormais, il fallait me lever pour les empêcher de nuire. Mon frère Klébert, qui était un bambin, avait le corps couvert de rougeurs !
Au-delà de la pénibilité, je ressentais cet inconvénient comme une dégradation importante de notre image. C’était la goutte qui a fait déborder le vase.
Peu à peu, je me suis mis à ne plus supporter notre précarité, nos corons, nos puces, et
j’avais honte de notre condition. J’avais honte de moi. L’épreuve de nos dix premières années était une souffrance physique, mais surtout psychologique.
Travail en dehors de l’école
À l’époque où ma maman vendait des poulets, j’avais un jour réalisé le travail suivant : en une longue journée, j’avais tué, ébouillanté, plumé, ouvert avec un grand couteau, vidé, nettoyé et livré quatorze poulets dans les corons. J’avais 13 ans.
Quand j’étais en âge de travailler hors de la maison, j’arrivais à travailler pendant toute la durée des grandes vacances, dans des usines parfois éloignées de Noyant.
Pendant les fêtes de fin d’année, je travaillais comme serveur à Paris. Travailler comme
serveur pendant que les clients fêtent le réveillon, c’est un drôle de supplice.
Devenu, à 22 ans, étudiant à Lyon, j’exerçais un travail d’appoint chez Darty. Je faisais de la vente le samedi et pendant toutes les périodes de fêtes.
Habillement
À cette époque, les filles n’avaient pas droit au pantalon. Moi je portais le plus souvent un short. Pendant six ans à peu près, je n’ai pratiquement porté que des vêtements qui nous ont été donnés, neufs ou usagés.
Pour mon entrée en sixième, au lycée Banville, ma mère m’a fait porter un chapeau de type tyrolien qu’on lui avait donné. Ce chapeau convenait au goût indochinois de ma mère, mais me rendait ridicule auprès de mes camarades. Je ne l’ai porté que trois jours.
En sixième et en quatrième, un manteau m’a été offert, via le lycée, par le magasin de
M. Tison, par ailleurs bienfaiteur de Noyant.
J’étais en classe de troisième quand ma mère a acheté, en ma compagnie, mon premier
pantalon. Je me rappelle que c’était un pantalon en tergal marron.
Jusqu’aux années 1990, nos mamans continuaient – contrairement à nos papas et nous les enfants – à s’habiller à la façon de là-bas, en Vietnamienne ou en Indienne selon leur origine…
Quand elles se rendaient au bourg, ou quand elles allaient à Moulins, elles portaient leurs robes et vestes colorées. Les mamans originaires du Vietnam portaient aussi le typique chapeau conique.
Après une vingtaine d’années, leurs habits, certes exotiques, sont choisis pour être moins colorés, plus européanisés. On ne voyait plus les chapeaux coniques.
Communication
La communication n’était pas facile entre communautés. Elle était non moins facile à
l’intérieur de nos familles.
Dans la famille Adan, à laquelle j’étais très lié : M. Adan, un vrai Français, ne parlait que
français ; Mme Adan, une pure Vietnamienne, ne parlait que vietnamien. Comment
communiquaient-ils ? Je me le demande encore.
Au fur et à mesure que je progressais dans les études, et dans la francophonie, j’avais de plus en plus de difficulté à échanger avec ma maman. Elle parlait le français à la vietnamienne, c’est-à-dire le "petit nègre", et mon vietnamien devenait de plus en plus rudimentaire.
Mes parents ne voulaient pas que j’apprenne le vietnamien, mais que je me consacre au
français et à l’anglais. Quant à ma mère, elle n’a jamais voulu s’inscrire aux cours de français.
Etait-ce une question de timidité parce qu’elle n’est jamais allée à l’école ? Etait-ce une
question de fierté ?
Ecole communale
J’étais passionné par l’école. J’appréciais mes instituteurs. M. Binon était sévère, mais ce n’était pas du tout un problème, car mes parents l’étaient encore plus !
L’école était le lieu où nous étions tous égaux devant la peur des mauvaises notes et le plaisir de jouer à la récréation.
Vie religieuse
Ma famille a été baptisée à Noyant, en 1962. En ce jour rayonnant, j’étais tout en blanc,
couleur de pureté et de fête en France, et couleur de deuil en Indochine. Dans la communauté catholique, et avec la parole de Jésus-Christ, l’enfant que j’étais se sentait réconforté, protégé.
Chez nous, dans une chambre, il y avait déjà l’autel des ancêtres. Mes parents ont tout
simplement installé, dans la cuisine, un deuxième autel, pour Jésus et Marie.
Etant au lycée Banville, j’ai fait ma communion solennelle à Moulins. Ce jour-là, ma mère m’avait accompagné. J’étais heureux de sa présence. Après la cérémonie, mes copains communiants sont allés avec leur famille manger au restaurant. Avec ma maman, nous sommes allés, au parc de la gare, manger un croissant.
À Noyant, il y a eu par la suite un second lieu de culte, une pagode bouddhiste. Cette
cohabitation, je la vois comme normale et comme un symbole de l’esprit de tolérance de notre village.
La pêche
Au bord de l’étang de Messarges et de l’étang de la prise d’eau (de Châtillon), j’ai passé des moments extraordinaires. Notre premier but était de prendre du poisson. Ma mère était déçue quand nous étions bredouilles.
Mais nous trouvions d’autres intérêts. Celui d’être au milieu de la nature (arbres, roseaux, oiseaux, libellules…) et celui de passer de longs moments avec mon papa, mes frangins, mais aussi d’autres personnes.
Au bord de l’eau, je côtoyais des copains et des grandes personnes qui me considéraient comme leur compagnon. Notre communication était sobre, mais finalement amicale. Il y avait M. Schmoker, M. Lavaud, M. Durand, M. Saint-Léger et d’autres. Parmi les personnages pittoresques, il y avait M. Buisson, de mon coron, qui capturait des vipères en cours de journée
pour les vendre, et le pépé Roche, de Châtillon, avec sa bonne bouille, son éternelle veste de velours et son patois local !
Entre pêcheurs, loin de la société, il n’y avait pas de différence d’âge ni de catégorie.
Le foot
Le football à Noyant, c’était un loisir précieux et totalement gratuit. Il a joué un rôle important, dans la bonne relation, voire l’amitié, entre les jeunes de toutes origines de Noyant, de Châtillon et des environs. On se retrouvait au stade pendant l’après-midi du samedi et n’importe qui pouvait participer.
Jusqu’à l’âge de 30 ans, avec les copains, j’ai participé aux tournois de sixte dans l’Allier, bien qu’habitant loin de Noyant.
J’ai joué pendant une saison dans l’équipe de foot de Noyant-Châtillon. Chaque match était une aventure formidable entre joueurs, mais aussi entre joueurs et dirigeants. Notre président était M. Chalmin, son adjoint était M. Gout.
Les arts martiaux
Il y a tant à dire sur les arts martiaux à Noyant !
Pendant les fêtes du Têt, je fais ce que je peux pour les mettre à l’honneur et faire connaître les noms et les titres de nos nombreux champions, à commencer par l’aîné, Roger Paschy, médaillé au niveau européen et mondial.
Signe des temps, et symbole de l’évolution, le benjamin dans la liste de nos champions est un Français d’origine : Mathieu Gayet, champion de France de karaté contact (en 2008, en senior et poids moyen), formé par Bruno Szymonik.
Cao Van Rang a enseigné le karaté bénévolement à Noyant, de 1966 à 1970. À l’époque, il était affecté en tant que militaire au centre militaire de Moulins. Il a acheté une maison de coron à Noyant et sympathisé avec beaucoup de personnes. Peu de gens connaissaient le karaté, Bruce Lee n’était pas encore une vedette. Cao était 2e dan, dans la méthode Shotokan.
Pour varier les activités des jeunes, il s’était proposé de leur enseigner le karaté. Il a su créer l’enthousiasme, l’effort, l’esprit martial et beaucoup voyaient en Cao un grand frère, un modèle.
Initiatives des jeunes
Vous vous souvenez du groupe musical Jeunesse et amitié, vers les années 1965-1970,
créé pour faire de la musique, mais aussi pour intégrer les jeunes par l’amitié artistique. Pour moi, comme pour tous, c’était un excellent groupe sur le plan musical, mais aussi un symbole très fédérateur pour les jeunes, à une époque où les bals étaient émaillés de bagarres.
La guerre du Biafra avait créé une immense famine. En avril 1969, un groupe de jeunes de Noyant-Châtillon-Tronget eut l’envie de faire une exposition-vente pour le Biafra pour récolter des fonds. Nous nous sommes lancés, avec l’aide du curé de Tronget, et nous avons réalisé notre événement humanitaire à la salle des fêtes de Noyant. Après deux mois de préparation et de communication, ce fut une journée de fête. Nous avons vendu les tableaux et les gâteaux réalisés par tous ceux qui nous ont rejoints. La somme gagnée équivalait au prix d’une mobylette, mais nous étions fiers de notre bonne action, et surtout de notre action collective.
Les Trente Glorieuses
Dans notre malchance, nous avions quand même quelques chances. L’une d’elles est le
boom économique qui, à l’époque, offrait du travail et faisait marcher l’ascenseur social.
Unions La majorité des enfants de rapatriés d’Indochine de Noyant ont épousé un enfant d’origine française ou européenne.
Mes copains aussi âgés que mon papa
À Noyant, j’avais des "copains" aussi âgés que mon papa. Par manque de place, je ne peux citer que quelques-uns :
- M. Lavaud, notre voisin, un ancien ferronnier de la mine, mon copain de pêche. Ses arbres fruitiers étaient magnifiques et régulièrement pillés. Il avait fini par trouver une astuce pour ne plus être volé : il partageait ses fruits avec les voisins.
- M. Durand, de mon coron aussi, et ancien de la mine, qui me donnait toutes sortes de
conseils pour le jardinage et m’occuper des lapins.
- M. Schmoker, qui nous faisait profiter de sa télévision et chez qui j’ai assisté aux premiers pas d’un homme sur la Lune.
- M. De Silva qui m’a initié à la Danse du Dragon.
- M. Foropon chez qui j’ai assisté, à la télévision, à la victoire des Bleus à la Coupe du monde.
Mes amis âgés, français ou polonais, me parlaient souvent de la guerre, de leur guerre. À l’époque, je me disais qu’ils radotaient.
Je me suis aperçu, longtemps après, que, moi aussi, je radote. Je parle souvent de mon
histoire de rapatrié d’Indochine, de Noyant, au point de recevoir des remarques de ma
compagne ou de mes enfants.
Né de Noyant
Je ne suis pas né à Noyant.
Je suis venu à Noyant avec l’idée d’en repartir.
Je n’en suis jamais vraiment parti. Car je suis né de Noyant.