La Cité de l’enfance
À mon arrivée comme maire en 1981, j’ai été frappé par le grand nombre d’enfants dont les
trois quarts étaient d’origine vietnamienne.
L’abbé Tacques, curé de la paroisse, a créé, avec l’aide de la Sauvegarde de l’enfance, la
Cité de l’enfance avec comme directrice Mlle Tourtiol. La Cité était ouverte tous les mercredis
sur les terrains de jeux existants. Pendant les vacances d’été, un camp était organisé au
Donjon pour le plus grand plaisir de tout le monde.
Jubilé de l’abbé Tacques
Le jubilé a été célébré en 1987 par Monseigneur Quelen. La présence de certains moines
bouddhistes à la messe a surpris beaucoup de personnes, dont Mgr Quelen. À la fin de la
cérémonie, les bouddhistes ont remis à l’abbé Tacques un très beau tableau d’une Vierge à
l’enfant. La cérémonie terminée, le maire a invité tout le monde à la salle des fêtes pour un vin
d’honneur.
Légion d’honneur
L’abbé Tacques a été décoré de la Légion d’honneur en 1995 par M. Dériot, président du
Conseil général. Au cours du vin d’honneur, Mlle Denise Giraud, gouvernante de l’abbé
Tacques, a été décorée de la médaille départementale. M. Dériot s’est mis à fouiller dans ses
poches avec vigueur et, ne trouvant pas la médaille, a déclaré : « Je vous décore de la médaille
virtuelle. » Le président Dériot, invité par M. le curé et par Mlle Giraud, est venu lui remettre la
fameuse médaille en mains propres.
La médaille de la famille française
La tradition a été établie par M. Gournichon, ancien maire, de proposer un certain nombre de
familles pour être décorées de la médaille de la famille française (or, argent et bronze), selon
les critères exigés par l’UDAF. En 1981, la tradition s’est poursuivie. Huit à dix familles étaient
concernées.
Inauguration de la pagode
À la demande de la communauté bouddhiste, les représentants de cette association ont
demandé à être reçus par M. le maire. Suite à cette réunion, le Conseil municipal a été réuni
par M. le maire et a décidé d’attribuer un terrain appartenant à la commune, situé au milieu des
corons, le long de la voie ferrée. Le financement de cette pagode a été effectué par les dons
des bouddhistes de France et de l’étranger et par des subventions exceptionnelles accordées
par le Conseil général. Les travaux ont duré de 1983 à 1985. L’inauguration a été accueillie
avec tolérance et joie par tous les habitants de Noyant.
Ecole des "Mémés"
M. le maire et quelques personnes, s’étant aperçues de la difficulté des personnes âgées
vietnamiennes pour parler et écrire en français, ont décidé de créer une école. Leurs marisétant décédés, ces femmes avaient d’énormes difficultés pour s’exprimer en français pour le
quotidien : médecin, assistante sociale, etc. Chaque fin de classe était suivie d’un repas léger
confectionné par des bénévoles dans une ambiance de gaieté. En fin d’année, une remise des
prix avait lieu. Pour la personne la plus gaie, la plus sage et la plus dissipée. Les lots étaient
composés de sucettes et de bonbons. J’ai été surpris et heureux de la capacité de ces
personnes à apprendre à se débrouiller. Je remercie Mme Thomas et les bénévoles de leur aide.
Monseigneur Barbarin
Mgr Barbarin a été nommé évêque de l’Allier. Il s’est engagé à visiter les communes de son
diocèse. Aussi, nous l’avons accueilli à Noyant pour célébrer la messe. Un vin d’honneur a été
offert à la salle des fêtes. Au cours du vin d’honneur, M. le maire et Mgr Barbarin ont échangé
des propos forts courtois. Suite au vin d’honneur, un repas a été organisé à la salle des fêtes.
Etaient présents le Conseil municipal et quelques personnes lorsque, soudain, Mgr Barbarin a
disparu sous la table à quatre pattes pour ramasser le sac à main que Mlle Giraud venait de
laisser échapper. Il le lui a aussitôt remis. L’aller-retour fut effectué dans un temps record sous
la table.
Acquisition de la mine
L’abbé Tacques m’avait invité à déjeuner dans le but de rencontrer le dernier ingénieur des
Mines de Noyant qui voulait s’entretenir avec moi d’un projet de création d’un Musée de la
mine. Cette demande m’a paru intéressante et je l’ai soumise au Conseil municipal. Ce dernier
a donné son accord pour la création de ce musée qui permettait également un rapprochement
de la cité des corons et du bourg de Noyant en débroussaillant cette grande surface. Le
matériel, permettant de rouvrir ce carreau de la mine, a été rapatrié d’un certain nombre de
mines. Le musée a été fondé en 1987.
Je suis native de Meillers, petite commune située à 5 km de Noyant que j’ai toujours fréquenté
depuis mon enfance. Etant donné que Meillers n’avait pas beaucoup de commerces – à part
deux épiceries et trois bistrots, dont un faisait bureau de tabac, un bureau de poste où j’ai fait le
remplacement du facteur en vélo pendant deux ans – quand je me suis mariée, j’ai donné ma
démission vu que j’allais habiter à Noyant.
Noyant, c’était un peu notre capitale. Il y avait un docteur, une pharmacie, trois boucheries charcuteries,
un Casino, quatre épiceries, un bureau de tabac, un cordonnier, un coiffeur pour
hommes, un sabotier, trois couturières, un tailleur pour hommes, un garagiste, un magasin de
journaux, un bazar-quincaillerie avec un choix énorme de produits tels que bassines,
lessiveuses, balais, grillage, vaisselle, verres, clous… Dans le magasin de journaux, il y avait
montres, bijoux, couronnes mortuaires, cannes à pêche, ménagères, ampoules… Il y avaitégalement des artisans : maçon, plâtrier, maréchal-ferrant et un magasin de vêtements.
Nous n’avions pas besoin d’aller à Moulins puisque nous avions plein de choses sur place, et
même des services de car ainsi que le train pour aller à Souvigny ou à Moulins. La gare SNCF
a fermé en 1974. Il y avait aussi une salle des fêtes avec salle de cinéma.
Noyant bougeait beaucoup avec les familles des mineurs. Tous les mercredis, il y avait le
marché. C’était fabuleux… Sur la place, le garde champêtre installait les bancs pour que les
fermières posent leurs paniers d’oeufs, beurre, fromages et fruits, quand c’était la saison bien
sûr. Devant les bancs, elles posaient à même le sol volailles, poulets, canards, lapins et
pigeons. Des jardiniers de la campagne, bien approvisionnés dans leur jardin, apportaient,
suivant la saison, des légumes, des fruits ou des fleurs. Mes parents faisaient eux aussi le
marché. Maman vendait du beurre, de la crème, des oeufs, du lait ainsi que des fromages de
différentes sortes : égouttés, frais ou secs. Au printemps, Papa cueillait des cerises et les
mettait dans des corbeilles en osier. Ca se vendait très bien, surtout quand les mineurs avaient
touché la paie. Etant donné que les familles étaient nombreuses, il fallait bien nourrir toutes les
bouches.
Les mineurs finissaient leur journée assez tôt quand ils travaillaient de nuit. La journée, ils
allaient, pères et enfants, ramasser les pommes de terre chez les paysans. Ils étaient payés
avec ces pommes de terre et ils s’en servaient pour nourrir leur famille. L’hiver, ils allaient
ramasser les topinambours, nourriture utilisée pour engraisser les animaux tels que les boeufs
et les vaches destinées à l’abattoir, également situé à Noyant.
Pour en revenir au marché sur la place, il y avait toujours foule et les marchands ambulants
installaient leur stand. Il y avait un primeur, parfois deux, un marchand de poissons, un
boucher, un marchand de vêtements de travail, de tissus, pulls… Une fois par mois, un grand
stand de draps, serviettes de toilette, couvertures… s’installait. Il venait de la Creuse. Il y avait
aussi le Bazar à 100 francs, c’était le nom.
Le jour où la mine a fermé, tout s’est réduit. Ce n’était plus le beau marché que nous avions
connu.
À l’arrivée des rapatriés d’Indochine, le marché a repris vie, mais ce n’était plus les mêmes
clients. La volaille était encore appréciée, mais les produits laitiers n’avaient plus le même
succès qu’au temps des mineurs. Ils consommaient beaucoup de volailles. Alors, le vendredi,
ils prenaient la micheline pour aller faire leur marché à Moulins car, là-bas, il y avait, sous le
marché couvert comme il se nommait, un marché bien achalandé et on pouvait marchander et
faire baisser les prix, surtout en fin de marché. Comme les fermières n’avaient pas vendu les
volailles, les volaillers tournaient les talons et laissaient la marchandise à son propriétaire. La
personne qui ne voulait pas ramener ses volailles les donnait au plus offrant car les fermières
avaient des enfants à habiller et, avec l’argent récolté, elles faisaient leurs achats. C’était
folklorique au retour en gare de Noyant, les volailles attachées par les pattes avec de la ficelle
ou des morceaux de chiffon. Les gens débarquaient avec les bras chargés de volailles et de
paquets.
Moi-même, pour remplacer Maman quand elle était malade, je faisais le marché et, paraît-il
que quand c’était moi qui faisais le beurre, il était moins bon. C’est ce que les clients disaient
quand Maman revenait.
J’ai connu Noyant très jeune. À 15 ans, je suis allé à l’École ménagère qui était dans
l’ancienne école de garçons des Frères, route de Châtillon, en-dessous du presbytère. Jeune
fille, je venais au cinéma le samedi soir et aussi aux fêtes foraines. La fête de Printemps était le
troisième dimanche de mai avec des manèges et des parquets-salons pour le bal. Si les
mineurs avaient touché la paie, les forains ne pouvaient que s’en réjouir. Elle durait deux jours.
C’était bon pour le commerce.
Chaque année, il y avait la "loue", les 11 mai et 11 novembre. C'est-à-dire que les hommes et
les femmes se louaient pour six mois ou un an dans les fermes ou encore chez les ingénieurs
de la mine, au château, chez le docteur… Le 11 mai, fleur à la boutonnière, chacun cherchait
un patron. Une somme était allouée si le gars était intéressé et, si accord conclu, il recevait une
somme d’argent qui se nommait : "recevoir une pièce". Au 11 novembre, à la Saint-Martin,
patron de Noyant, même engagement. C’était également la fête au village avec bals dans les
salles de bistrot et parquet-salon. Prix de l’entrée : 1 franc par personne et, pour les moins de
15 ans, 0,50 franc. Tout cela est aboli.
Les Vietnamiens fréquentaient peu ou pas les bals du village. L’arrivée des Vietnamiens en
hiver 1956-1957 fut un événement pour les habitants de Noyant. Nous, les jeunes, n’avons pas
eu de problème, mais les gens âgés étaient moins tolérants. Quand les jeunes chapardaient les
fruits, c’était mal considéré. Les enfants vietnamiens aimaient beaucoup les fruits verts et
surtout les prunes. Je me souviens d’un grand-père qui avait un prunier bien garni, pas loin des
corons. Les jeunes l’avaient découvert. Alors un soir, à la tombée de la nuit, les jeunes sont
venus manger les prunes vertes. Le grand-père s’en est aperçu. Le lendemain, de colère, il prit
la scie et coupa le prunier. Comme ça, l’histoire était réglée.
Autre anecdote au sujet des prunes. Une année, une de mes filles était en colonie de
vacances avec une petite Vietnamienne. La journée de visite des parents était le 15 août. Ma
fille m’a écrit en me disant : « Maman, apporte-moi des prunes, ça me ferait plaisir et apportes en
des vertes pour Brigitte car elle adore cela. »
Les jeunes Vietnamiens venaient au bal et nous faisaient danser. Cela intriguait quelques
personnes. Nous avons reçu des familles à notre table, dont une famille de neuf enfants avec
laquelle nous étions amis. Eux aussi nous recevaient chez eux. Plus tard, quand les jeunes se
sont mariés, nous avons été invités au mariage, même que les mariés ont couché chez nous
dans la grange. Nous avons de cela que de bons souvenirs. Mes enfants ont toujours fréquenté
l’école avec les Vietnamiens avec lesquels nous avons gardé d’excellents rapports.
En 2006, nous avons fêté le cinquantenaire de leur arrivée avec l’aide de toutes les
associations. Que de souvenirs émouvants ! Les retrouvailles ont été magiques ! Il y a eu de la
joie et des larmes.
Il y avait des associations bien sûr : football, comité des fêtes, tennis.
La population de Noyant vieillit alors qu’en 1956-1957, il y avait neuf cents enfants de 1 an à
20 ans. Le village était florissant puisque de cinq classes existantes, il y en a eu par la suite dixsept.
Il a fallu chercher des appartements pour loger les enseignants. Il y a eu aussi un centre
d’accueil pour les jeunes avec des jeux. Le Père Tacques, curé du village en a été le fondateur.
Les enfants grandissant sont partis dans d’autres écoles et lycées et reviennent au pays au
moment des vacances et des fêtes.
Actuellement, il y a toujours le marché le mercredi, mais plus de forains, plus de primeurs,
plus de produits de la ferme ! Il y a seulement un camion réfrigéré dans lequel on trouve de la
viande, de la charcuterie, des fruits, fromages et oeufs… Quatre à cinq fois dans l’année, un
horticulteur vient vendre des fleurs au printemps et, à la Toussaint, des chrysanthèmes.
Nos associations font leur possible pour maintenir des activités : Comité des fêtes, Village
vivant, Pompiers, Les Amis de la mine. Actuellement, je suis retraitée agricole depuis treize
ans. Je n’ai pas vu passer le temps. Mon époux et moi-même avons oeuvré pendant des
années pour le maintien de la mine avec beaucoup de soucis. La mine a ouvert au public le
14 juillet 1994. Mon époux en fait partie depuis 1988, quand il était conseiller municipal, et moi même
depuis 1998. Nous avons mis beaucoup de notre temps et de notre énergie dans notre
association, mais nous ne regrettons rien. Nous l’avons tenue à bout de bras pour que cette
mine continue à vivre, d’abord en souvenir des mineurs et de leurs familles, ensuite pour que
notre village ne meure pas.
Dans ma famille, j’ai eu un oncle seulement qui a travaillé à la mine à Saint-Hilaire en 1859.
Evidemment, je ne l’ai pas connu, je n’étais pas née. C’était un frère de mon grand-père
paternel. Sa profession était dénommée ouvrier-mineur. Son patron se nommait de
Rochetaillée. Sur son carnet d’ouvrier que j’ai en ma possession, j’ai lu : « Ne sait pas signer ».
Donc, il ne savait pas écrire.
Actuellement, nous essayons de faire revivre cette mine en faisant des portes ouvertes, des
petits spectacles, des saynètes, des expositions et la fête des mineurs le 1er mai. Quand je vois
que le bâtiment se dégrade à la vitesse grand V, j’ai envie de pleurer.
Aujourd’hui, 19 mai, cela fait cinquante-quatre ans et un moiset un mois que j’habite Noyant.
HOMMAGE AUX MINEURS
Comme Papa, je descendais à la mine,
Comme Papa, j’ai été à la mine,
Comme Papa, j’ai été heureux,
Brave homme, j’ai un grand coeur,
Et brave homme, j’ai été mineur.
Les réfugiés politiques
Tout au début de mon allocution, il a bien été précisé que les rapatriés d’Indochine étaient
des Français de par le père, pour la plupart ancien militaires, et qu’ils regagnaient leur patrie :
la France.
Les réfugiés étaient ce qu’on appelle les boat people, les réfugiés du Sud-Est asiatique, des
réfugiés politiques. Les conditions d’accueil n’ont pas été les mêmes. L’époque n’était pas la même qu’en 1956 non plus. Toute une organisation avait été mise en place pour leur trouver du
travail. Dans cette attente, certaines bonnes volontés qui s’occupaient d’eux ont pensé à la
culture des pommes de terre qui les aiderait à se nourrir. Ce fut un échec total. Evidemment, le
travail en collectivité ressemblait à celui qu’ils avaient connu sous le régime communiste qu’ils
avaient fui.
Toutefois, une famille a été l’exception et elle est d’ailleurs restée à Noyant. Le père
Chhe Key, après une formation de bûcheron, a eu une carrière remarquable et, par ses
capacités, son agilité et sa gentillesse, a su acquérir l’estime de la population. L’Office des eaux
et forêts a eu fréquemment recours à ses services. Malheureusement, un accident mortel, la
chute d’un arbre, l’a cruellement enlevé à sa famille. La population a répondu nombreuse à une
cérémonie très émouvante sur les lieux de l’accident, en forêt de Grosbois.
D’autre part, j’ai évoqué des souvenirs par rapport au curé de la paroisse et de l’église car j’ai
pensé que je serais peut-être seul à le faire. Chacun a témoigné de ce qui l’a marqué.
Le Père Tacques s’est chargé de la paroisse de Noyant de 1969 à environ 1990. Pendant
trente ans, il a marqué de son empreinte la Cité des jeunes où il accueillait tous les jeunes,
sans distinction, sans leur demander ou les obliger à aller au catéchisme ou à la messe.
La Cité des jeunes
La Cité des jeunes était ce que l’on appelle maintenant un centre de loisirs. Les jeunes y
trouvaient un lieu pour se rencontrer, des jeux et la possibilité d’aller en camp, à Contresol,
pendant les vacances. Il a été épaulé dans son oeuvre par des moniteurs de la Sauvegarde de
l’enfance. Par cette organisation, avec l’aide de l’assistante sociale et du Père Tacques,
beaucoup de jeunes ont eu la chance de retrouver le droit chemin et d’éviter des dérives.
Un bel hommage lui a été rendu par la municipalité de Noyant en donnant au centre de loisirs
actuel le nom de Centre de loisirs Jacques Tacques. Une belle reconnaissance pour celui qui
s’est occupé pendant trente ans des jeunes de Noyant. Le souvenir de l’abbé Tacques reste
présent dans le coeur de beaucoup de ces anciens jeunes qui se sont élevés à Noyant.
La fête du Têt
Pour la fête du Têt, j’ai dit : « On vendait des pétards ». Mais ce n’était pas seulement que« on vendait des pétards ». La fête du Têt, pour cette communauté d’origine vietnamienne, a
toujours été un événement important et toujours célébrée avec des pétards. C’était la tradition.
Pourtant, c’est également une fête à laquelle participaient les Noyantais au cours du repas servi à la salle des fêtes, après le spectacle et la Danse du Dragon. C’était une ambiance formidable
et chaleureuse.
|