Second Groupe : l'arrivée des Polonais et la vie minière
JEAN GAWLAS, issu de l'immigration polonaise

Intégration : s’est faite à la vitesse grand V, mais, pour les parents, ce fut plus difficile.
Ecole à 6 ans : pas eu de problème.
1941 : devient un homme, à 15 ans et demi, quand il est descendu pour la première fois à la mine, par 400 m sous terre. Y a travaillé jusqu’en 1943. Puis à Saint-Hilaire où les ouvriers se rendaient par le car, jusqu’en 1949, moment de la fermeture. Alors, il a fallu déménager à Saint- Eloy-les-Mines.
Premier sentiment quand on descend à la mine : il en avait des notions parce que son père y allait, donc il n’a pas eu de problèmes car il connaissait par ouï-dire.
Foot : grande importance.
Relations bourg-corons : pas d’animosité, mais un petit quelque chose. On ne les aimait
pas bien et, à la sortie de l’école, on s’attaquait avec des frondes. Différences de langues, des coutumes.
Mariage : le beau-père, c’était le maire de Noyant.
« Avec le temps, ça s’est atténué. » [mariage mixte mal vu du côté des Noyantais].
« À l’époque, certaines personnes étaient méchantes. » (*)

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CÉCILE FOSZCZ-HARDOUIN

Parents polonais arrivés en 1929, au printemps en fleurs alors qu’ils avaient quitté la Pologne sous la neige.
Enfance ordinaire : école libre de 1945 à 1950 (la cantine avec ses avantages) + école
polonaise (ce qui en reste).
Groupe folklorique, groupe théâtral. Instituteur très actif à ce sujet.
1948 : « fin de mon enfance ». « Ma mère a perdu sa famille, massacrée par les nazis » (avait hébergé des Juifs : représailles). On a cessé de regarder du côté de la Pologne et « on s’est mis à regarder vers la France ».
Quand la mine a fermé, difficulté de s’intégrer ailleurs.
À Noyant, la communauté polonaise était sécurisante, mais quand ils partaient ailleurs, ilsétaient perdus. (*)
Un souvenir marquant
C'est un souvenir d'enfance, anodin à première vue, et cependant lourd de signification.
J'avais alors 8 ans et nous habitions depuis près de cinq ans à La Vallée, dans la maison de la mine, ma famille "côté Souvigny" tandis que la famille P. occupait le "côté Noyant".
Au mois d'avril 1948, à Pâques, "Mademoiselle P. ", comme on la désignait avec respect, a épousé R.M., originaire de Saint-Eloy-les-Mines. Le mariage a été célébré en grande pompe et la noce a duré plus de deux jours, sans compter le montage et le démontage du parquet devant la maison – soit quatre à cinq jours d'effervescence au cours desquels j'ai entendu beaucoup de bruit, de musique et suivi, du coin de l’oeil, tout ce va-et-vient peu ordinaire –, ma curiosité encore aiguisée par les sollicitations du fils cadet, de quatre ans mon aîné et camarade de jeu privilégié.
Car, durant tout ce tapage, ma mère a opposé un barrage catégorique à une quelconque
intrusion de ma part chez les voisins. En effet, nous n'étions pas invités à la fête : nous n'étions pas du même milieu, famille de simple ouvrier-mineur, qui plus est polonais – alors que A.P.
était chef-mineur et que sa fille était professeur ! Mais elle aurait bien pu m'attacher au bout d'une corde comme la grand-mère d'à côté sa biquette, elle ne m'aurait pas empêché de surveiller ce qui se passait depuis notre jardin.
Lorsque tout fut fini, démonté, rangé et le silence revenu, j'étais assise, désoeuvrée, en haut de l'escalier extérieur. Voilà qu'arrive Mme P., la bouche en coeur et, me tendant un cornet, elle me dit :
– Tiens, ma p'tite Céline, c'est pour toi...
Ma main n'avait pas eu le temps de saisir le cornet que ma mère me l'arrachait, le lançait
avec force tandis que les dragées roses s'éparpillaient dans la cour – quel gâchis...
– Tiens, vot' dragées. Ramass' ! dit ma mère.
La violence avec laquelle ma mère avait réagi dans cette situation m'avait alors semblé
étrange. C'est bien plus tard que j'ai compris la portée symbolique de son geste – qui, on s'en doute, a jeté un froid sur nos relations jusqu'alors cordiales avec nos voisins. En fait, à la lumière de ce que je sais aujourd'hui – à savoir qu'aucun des habitants de La Vallée n'avait été convié à la noce, hormis une famille de Montquin où les mariés sont allés coucher –, il ne s'agissait pas de discrimination vis-à-vis d'étrangers, mais d'une soumission aveugle à des conventions sociales – à savoir que l'on ne mélangeait pas les différentes catégories de gens.
L'implication des Polonais de France pendant la Seconde Guerre mondiale
Le 1er septembre 1939 au petit matin, lorsque l’Allemagne a envahi la Pologne sans
sommation, ma mère n'a eu de cesse que la France déclare la guerre. Ce qui fut fait trois jours plus tard, six heures après la Grande-Bretagne. Tous les Polonais attendaient cette déclaration avec la plus grande impatience. Et c'était fort logique : en 1918, à l'issue de la Première Guerre mondiale, l'état polonais renaissait après cent vingt-cinq ans de non-existence et une occupation parfois implacable. La Pologne allait-elle à nouveau être rayée de la carte d'Europe ?
De ce fait, dès le mois de septembre, il fut décidé de former une division polonaise à
Coëtquidan, en Bretagne, division dépendant de l'armée polonaise (elle deviendra elle-même par la suite une véritable armée sous les ordres du général Sikorski, chef du gouvernement provisoire polonais replié à Londres). Des Polonais de Noyant – tels Kazimierz Nowak, Ludwig Mazur – sont partis dans ce centre de formation.
Lorsqu’en juin 1940 Pétain demandera l'armistice, les Polonais seront extrêmement déçus et ceux combattant aux côtés des Français, peu enclins à déposer les armes. Beaucoup périront dans les derniers combats, un quart seulement réussira à gagner la Grande-Bretagne. Un certain nombre resté en France poursuivra clandestinement la lutte sous les ordres de Sikorski.
Sur tout le territoire français, es Polonais se sont alors illustrés : beaucoup de mineurs du Nord et aussi de Lorraine, des lycéens et deux de leurs professeurs du lycée polonais de Villard-de- Lans, dans l'Isère, de nombreux jeunes gens – comme les vingt victimes de La Versanne, près de Saint-Etienne, parmi lesquelles dix-huit Polonais et dont la moyenne d'âge était de 23 ans.
Sur la stèle en leur honneur, ainsi qu'à trois autres résistants polonais, au cimetière de La
Ricamarie (Loire), figure l'inscription suivante, dans les deux langues, avec la célèbre devise de la résistance polonaise : « Aux héros tombés à La Versanne pour votre liberté et la nôtre.
20-7-1944. »
À Noyant, les Polonais n'ont pas démérité. Ils étaient parmi les maquisards. Des actes
insensés sont rapportés sans que l'on puisse préciser l'exactitude des faits, des lieux et des dates.
Un certain Kudrazov allait à Cressanges en vélo. Il a croisé des Allemands qui, il le savait, avaient sa photo. Il a alors jeté son pistolet Parabellum. Les Allemands ont tiré sur lui, le blessant au genou. Malgré cela, il réussit à s'enfuir sautant, dit-on, du pont de la Queune à Châtillon et à gagner La Vallée à travers prés et fourrés. Il y aurait été soigné au domaine des Gaget. Revenu à Noyant après la Libération, il aurait retrouvé son pistolet !

Le 18 juin 1944, après l'embuscade tendue par les maquisards au Rocher noir, à la limite des communes de Châtillon et de Noyant, les Allemands qui menaient leur enquête furent insultés dans les corons par une habitante à l'esprit dérangé. Ils prirent en otage un groupe d'hommes.
Grâce à son sang-froid et à sa connaissance de la langue allemande, un Polonais du nom de Plaza, qui faisait partie du groupe, réussit à dénouer la tension et à faire relâcher ses
camarades.
Les Polonais de Noyant avaient bel et bien, dans leur ensemble, l'esprit patriotique et ils le prouveront une fois de plus après la guerre en envoyant des dons pour la reconstruction de la Pologne, et ce malgré leurs faibles moyens.

[Précision sur l’événement relaté précédemment]
Ce dimanche de juin 1944, près de La Folie, des maquisards en embuscade envoient un
camion et une moto dans le fossé. Ils venaient de Moulins et les Allemands, de Chaumont.
Deux jeunes gens des corons, qui revenaient de la pêche, sont vus par les Allemands. Les officiers supérieurs viennent, demandent des explications aux deux jeunes (qu’ils prennent pour des maquisards) et se dirigent vers les corons. Une femme sort avec sa hache et crie : « Sales boches ! » Les Allemands répliquent avec des grenades. Un mineur leur explique que cette femme est une simple d’esprit.

RENÉE GAWLAS

En 1944, elle avait 15 ans. Le maquis avait fait sauter le pont au-dessus de la gare de
Noyant. Y a-t-il eu des représailles ? Tout ce dont elle se souvient, c’est que ses parents qui
tenaient le café, ont vu arriver des soldats gradés avec des bergers allemands. Rentrent dans
le café, puis dans la cuisine. Demandent à boire, fermement. La mère ouvre la porte de la cave
et ils montent des bouteilles. Payent. Désaltérés, repartent vers la gare. (*)