Premier Groupe Le Début du XXe Siècle
Simone Grazon

Les archives de Noyant sont centralisées à Moulins, aux Archives Départementales.
À la Révolution, les livres paroissiaux ont tout simplement été remis à la mairie et c’est
M. Vauclin, quand il a pris la fonction de maire, qui a fait relier tous ces documents, ce qui permet de suivre presque au jour le jour l’histoire du village depuis 1600.
Si vous êtes intéressés par une histoire bien documentée du Bourbonnais, il n’y a pas mieux que les livres de Paul Dupieux, archiviste à Paris, enfant de Noyant – son père était forgeron, à l’emplacement du magasin Traiteur. Il a fini ses jours à Noyant.


Formation du sol, les origines :
Climat tropical, végétation abondante avec beaucoup de prêle que l’on trouve maintenant, toute petite, dans les fossés et qui, à cette époque, était grosse et haute comme des arbres –
les bouleversements géologiques ont enfoui dans des poches ces "arbres prêles" riches en silice, se transformant, au cours des millénaires, en charbon de grande qualité. C’est pourquoi,à Noyant, le charbon se trouve dans des poches et non dans des filons.


La préhistoire:
Dans la carrière de Meillers a été trouvé un établi servant à la fabrication des flèches et outils (au Musée de l’Homme à Paris).
À Noyant, l’impressionnante "pierre Bacoune" qui semble veiller sur le ravin des Côtes
Matras. Quel était son but : protection ? pierre de sacrifice ?
Côtes Matras (les côtes mères) : sur l’horizon de Valtanges se dessinent deux collines qui font penser aux seins généreux de notre mère Terre (fin des Monts de la Madeleine).

Les migrations:
Route d’échanges commerciaux (Perse-Angleterre)
Région couverte de forêts. Comment s’est faite la sédentarisation,
L’arrivée des Romains - la colonisation - un monde à découvrir.

Noyant en 1600:
Au Courtioux s’installe mon arrière-arrière-arrière-grand-père, François Primot, laboureur, qui se marie avec la fille d’un meunier de Cressanges.
Pendant la grande famine de 1693, la cloche de l’église de Noyant a été enfouie au Courtioux, dans le pré qui se trouve sous la cure, avec la réserve de pain du village, car les routes étaient envahies de gens affamés qui pillaient tout sur leur passage.
Un jour, le tocsin a sonné, le curé appelait au secours, des voleurs avaient volé le "trésor" de l’église, tous ont quitté les champs, rattrapé les voleurs au Bouis et récupéré le "trésor", bien modeste, mais combien précieux pour ce petit village pauvre : une croix, un calice et une patène, en argent.
Histoire de l’église, lieu de culte très ancien, construite sur une source – remaniée et agrandie vers 1800 –, chacun aidant suivant ses moyens. Le cimetière autour de l’église. (*)

La Révolution de 1789:
Les registres de la paroisse passent à la mairie. Premier maire : M. de Montenay de Ninyn, propriétaire de toutes les terres de Noyant à Meillers (la maison en retrait à côté de la pharmacie était son pavillon de chasse). Il a donné les terres nécessaires pour la construction de la ligne de chemin de fer.
Ma mère, que certains ont bien connue, est morte à 100 ans, orpheline. Elle avait été élevée par sa grand-mère qui, également, est morte âgée. Aussi ses souvenirs remontaient à presque deux cents ans, l’époque de Napoléon. D’après ma mère, les grandes discussions politiques entre elle et son fils étaient qu’elle était royaliste et lui, bonapartiste, la honte !

Les soldats étaient enrôlés dans l’armée pour une période de sept ans. Les noms étaient tirés au sort. Les appelés qui ne voulaient pas partir "achetaient" un soldat de remplacement ; c’est comme ça que le plus jeune frère de la grand-mère est parti dans l’armée de Napoléon pour avoir un peu d’argent.
L’armée de Napoléon était de passage à Montluçon, en partance pour la Russie. Voulant absolument revoir son frère, elle est partie à pied jusqu’à Montluçon avec une amie qui avait aussi son frère dans l’armée. Dans son panier, quelques provisions et ses beaux sabots pour la ville… Quand elles sont arrivées, l’armée était partie et elle n’a jamais revu son frère. Toute sa vie, elle a espéré le revoir et disait : « Il est sûrement parti dans les Amériques » et elle demandait à maman de chercher dans le dictionnaire pour lui montrer où était l’Amérique.

Les commerces de cette époque:
Huit cafés, deux forgerons, une huilerie, un drapier, un tailleur, une modiste, un charcutier, un boucher, un coiffeur hommes, un tabac, un marchand de journaux, une épicerie, deux cordonniers, deux sabotiers, deux couturières, un tisserand, un menuisier ; à l’entrée du village, un charron et un meunier. À la place de la maison habitée par Renée Chalmin se trouvait un espace sablé où les hommes jouaient au palet.
Arrivée du train et du téléphone Les gens faisaient la queue à la poste pour entendre dans le téléphone les cloches de la cathédrale de Moulins. Malgré son envie, maman n’a pas pu entendre les cloches, interdite par sa grand-mère qui voyait là une intervention du diable.

Le quartier de la gare, 1930-1945:
Le café Touret (actuellement maison de Benjamin) avec son tilleul où la mère David, qui
venait au marché vendre beurre et fromages, était obligée d’attacher son âne qui refusait
obstinément d’aller plus loin. Le marchand de vin, un cordonnier (actuellement Rabais), la poste, les Marinettes (brodeuses), le café Giraudon, la forge, la coopérative agricole, le café Perrot, la boulangerie, la maison Erkens et le premier poste à essence. Le charcutier Chalmin, le café avec sa salle de bal. En face, pharmacie et coiffeur… après, c’est la place.
La rue de la Gare, pas goudronnée, où passaient, vaches, chevaux, poules et charrois de bois impressionnants tirés par d’énormes percherons.
La grande distraction de la journée était le passage du train, la maison étant tout près du
passage à niveau. On allait, après déjeuner, s’accouder à la barrière pour regarder passer le train de 13 h et voir qui allait en descendre et s’il y avait des connaissances, quelles nouvelles elles rapportaient de Moulins, la capitale !
Le chef de gare, Cofin, avait souvent la gorge sèche et les allées et venues gare-Touret, gare- Giraudon étaient fréquentes. Le trajet le plus rapide était le café Giraudon. Aussi, plus d’une fois, on voyait le chef de gare, drapeau à la main, casquette de travers, courant le long de la voie appelé par le sifflet de la locomotive qui attendait patiemment, entourée de brouillard, que le préposé veuille bien libérer la bonne voie (car il y avait un changement d’aiguillage à Noyant).
Dans tous les villages, les personnes marquantes avaient un surnom, celui du chef de gare était "Cul de guêpe". Bzz, bzz, bzz ! Il y avait aussi, au Briéra, "le JO rouge".
Les soirs d’été, dîner rapide, trempé au vin pour les hommes et trempé au lait pour les
femmes et les enfants, gardé bien frais dans le seau du puits, et en route pour le "viron".
Chaque maison alignait des chaises sur le trottoir et on allait de l’une à l’autre en refaisant le monde jusque tard dans la nuit. Nous, les enfants, on s’amusait à dénicher les vers luisants… pour s’éclairer ! Et c’est là que Jacques Malterre a commencé sa carrière d’"inventeur" en nous faisant, devant la maison du cordonnier (actuellement Rabais), la démonstration d’une batteuse minuscule qu’on alimentait avec le trèfle du fossé. Puis, au fur et à mesure de la nuit, petits et grands devenaient silencieux en regardant les étoiles. C’était notre télévision.
Ensuite, c’est la place, plantée de tilleuls, avec sa mare, la fontaine, la bascule et son marché du mercredi. En face du cimetière, à la sortie du château, un calvaire entouré de quatre marronniers. C’est là que le "Bezizi", qui aiguisait les couteaux et étamait les casseroles, installait sa roulotte une fois par an. On en avait très peur car on nous promettait de nous donner au "Bezizi" si on n’était pas sage.

Les commerces : Emile Roche, le cordonnier, le Casino, le tailleur, la modiste, l’épiceriebuvette (Courtachon).
En face, à la place du coiffeur, le boucher, l’hôtel Bourdier (puis le réparateur de vélo et le poste à essence), un autre boucher et, sur le côté de l’église, après la guerre, la charcuterie Chalmin qui a déménagé et l’ouverture d’un café dans la même maison, le laboratoire étant dans les petites maisons derrière l’église.
Il y avait aussi le passage du Caïfa avec sa voiture à cheval qui vendait l’épicerie. Le Peyero, qui achetait les peaux de lapin. Le "Verpilleux" qui revenait des Côtes Matras, sa caisse pleine de vipères qu’il expédiait à l’Institut Pasteur. Le marchand de drap qui passait dans les maisons avec sa mercerie.

Les écoles:
À Noyant, seulement deux écoles libres (1 filles - 1 garçons). L’école des filles était réputée et faisait pensionnat pour jeunes filles jusqu’en 1925 environ.
L’école laïque était à Châtillon.
Châtillon était une route de grand passage. Aussi il a été décidé, pour le bien des enfants, d’installer une école à Noyant. Compte rendu de la réunion du Conseil concernant cette décision : « Pour protéger les enfants des mauvais exemples donnés par des personnes peu recommandables. En plus, pour accéder à l’école, il faut passer sur un tas de purin qui est devant la porte, ce qui salit le bas de pantalon du maître et ses chaussures ! » Mais, comment les enfants entrent-ils à l’école ? Les microbes ne sont pas encore connus ! Le dimanche, pour aller à la messe, les jeunes Polonaises mettaient leurs beaux habits colorés avec des gilets en velours pailleté et de gros noeuds dans les cheveux. Comme j’en avais envie ! Mais pas question, le bourg c’est le bourg ; on se protège de l’inconnu, on ne copie pas et on ne fréquente pas les corons. Les règles de la société, fortement imprimées dans les coutumes, n’ont rien à voir avec les élans du coeur qui, eux, n’ont pas de frontière.
Heureusement, les temps changent, les frontières physiques et mentales s’élargissent et, au lieu de s’observer et de rester sur son quant-à-soi, comme c’est enrichissant de faire
ensemble !
C’est l’avenir que je souhaite à Noyant qui m’est cher.
.

Robert Bernard

Je suis M. Bernard Robert, né le 7 septembre 1922, dans la première maison du premier coron. Je suis donc un vrai Noyantais. À la naissance de ma soeur (Mme Grazon Simone), mes parents qui habitaient Roanne m'ont confié à la garde de mes grands-parents pour deux ans.
Mon grand-père était garde à la mine de Noyant et ma grand-mère, couturière. Ils logeaient au deuxième étage, au-dessus des bureaux de la mine (c'est la poste actuelle).
J'avais 6-7 ans, j'allais à l'école libre de M. Deret. C'est la grande maison en-dessous de la cure. Tous les enfants allaient à l'école à pied naturellement, même ceux venant de très loin : Moncoulon, Chevrotière, Les Arquelants, Les Echarmaux, sans manquer une fois, même par temps de neige, et parfois il y en avait 40 cm. Tous avaient, en plus du cartable, un petit panier en osier noir à deux couvercles où ils avaient leur casse-croûte, un petit pot de soupe qu'ils faisaient chauffer sur le poêle au milieu de la classe. Il n'y avait pas de cantine.
J'ai toujours aimé la musique et, pour la fête de Noyant, début novembre, j'ai voulu entrer sous le parquet de danse monté devant chez Perrot. Avec ma grand-mère, je me suis assis devant l'orchestre vers la batterie. On appelait cela alors le jazz-band. Le lendemain, j'ai demandé à m'acheter une cymbale à la Coop. Dans le magasin, j'ai fait voir ce que je voulais, c'était un des plateaux en cuivre de la balance ! J'ai fait rire tout le monde et, à la place, ma grand-mère m'a acheté une casserole en fer blanc et ça a marché ; pendue au dossier d'une chaise, assis sur mon petit banc, mon tambour sur les genoux, j'accompagnais les ouvrières qui chantaient souvent et j'ai assuré un tempo que les filles trouvaient juste.
Après l'hécatombe de la Grande Guerre (1,5 million de morts et 5 millions de blessés), la France avait besoin de main-d'oeuvre. C'est pourquoi est arrivée, de la région minière de Silésie, en Pologne, toute une communauté de Polonais logés dans les corons. Ils étaient pauvres, beaucoup de petits garçons avaient la tête rasée et marchaient pieds nus l'été. Tout de suite après la moisson, tôt le matin, les femmes polonaises partaient glaner dans les champs. Elles revenaient en fin d'après-midi portant d'énormes ballots d'épis de blé.
J'ai vu arriver, en 1930-1935, une entreprise qui plantait un peu partout de grands poteaux en ciment armé pour faire arriver l'électricité. Avant, c'était l'époque de la bougie et de la lampe à pétrole.
Tous les transports, même très lourds, se faisaient avec des chevaux. M. Bourdier, bûcheron professionnel, avait pour cela trois chevaux étalons de 800-900 kg. Il y en avait un blanc pommelé : Pompon, un roux : Bayard et un noir : César. Je me souviens avoir vu, en face du pont Boursot, au pied de la côte de Noyant qui fait 1 km, trois troncs de chêne de 5 à 6 m, chargés sur un matériel adapté pour cela. Les chevaux étaient attelés en flèche avec de lourdes chaînes. Le charretier leur a parlé, les a caressés à l'encolure, les appelant par leur nom ; doucement, il a fait tendre les chaînes et puis, sur un éclat de voix et un claquement de fouet, les trois bêtes, bien ensemble, ont démarré la charge. Tirant à plein collier, elles sont montées jusqu'au Christ où il y a un petit replat. Une cale sous les roues, elles se sont reposées un quart d'heure pour reprendre souffle ; puis elles sont reparties pour terminer la côte et aller jusqu'à la gare où, avec la grue, les troncs d'arbres ont été chargés sur un wagon plat.
Toutes les routes étaient en terre, point de goudron. Il y avait très peu de voitures, tout se faisait à pied, à vélo ou à voiture à cheval. À ce propos, j'ai une anecdote : nous sommes en 1870, le frère de la grand-mère de ma maman, étant au régiment et, devant partir pour la guerre de Crimée, devait passer en gare de Montluçon, un jour dit par lettre. Mon arrière-grandmère est donc partie à pied avec une amie à Montluçon (58 km). Elle avait aux pieds des sabots et, dans son panier, son casse-croûte et des sabots vernis pour passer les villages.
Arrivées à Montluçon, le train était parti. Elle n'a donc pas vu son frère et a fait demi-tour aussitôt (soit 120 km). Trop fatiguées, elles ont dormi dans un fossé.
Tous les mercredis, jour du marché, très grande animation sur la place. Les paysannes
venaient en char à bancs vendre beurre, fromages, volailles. Les chevaux étaient dételés, mis à l'écurie chez Ramillon ou Perrot. Il y avait sept cafés au bourg : Germain, Novac, Courtachon, Ramillon, Perrot, Giraudon et Burlot. Avant il y avait Marcel Touret qui était aussi marchand de vin. Aux corons, il y avait Jonas en haut et Charlat en bas, plus le petit mur de la coopérative, en face de la boulangerie. Ca buvait sec à Noyant et, même les dimanches, ça dansait chez Novac et Ramillon.
La communauté polonaise a fait de Noyant un village très vivant qui ne ressemblait à aucun autre.
Je crois que cela a continué avec les Indochinois.
À leur propos, je me souviens les avoir vus arriver à la gare. C'était en décembre 1956, hiver terrible, il faisait –25° aux corons. Il y avait en France une très grave crise du logement. C'était le début de l'action de l'abbé Pierre. La guerre d'Indochine terminée, Bao Dai a expulsé tous ceux ayant travaillé pour les Français. La mine étant fermée, les corons vides ont permis de loger les Indochinois. Tous ces gens avaient là-bas de belles situations, vivant dans des logements modernes d'où ils ont été expulsés avec une ou deux valises. Venant d'un pays chaud, ils arrivaient au milieu de l'hiver par un froid de canard. Imaginons leur peine et, pourtant, ils se sont adaptés car ils sont très courageux, travailleurs et intelligents. Ma maman allait de famille en famille pour aider et pour voir, bien souvent pour leur apprendre à faire du feu dans une cuisinière. Elle a vu une famille qui avait allumé un feu de petits bois sur le carrelage de la cuisine pour se chauffer autour. Ils étaient de religion hindouiste, bouddhiste, chrétienne. Une petite fille étant née, ses parents ont demandé à ma maman d'être marraine.
Eh bien, soixante ans plus tard, lors de son décès à l'âge de 100 ans, sa petite filleule qui
habite à Paris a fait le déplacement pour prier pour elle. Affection, respect, reconnaissance, tous sentiments qui sont nés de cette situation.
Noyant est vraiment un village unique. J'avais un bon copain, Valentin Genest, préparateur à la pharmacie qui avait été avec moi pour le STO plus de deux ans en Allemagne. Et en juillet 1946, nous sommes allés tous les deux à Lourdes au pèlerinage des prisonniers et déportés. Nous sommes partis tous les deux de Noyant à vélo : 600 km, quatre étapes.
La veille, étant garçon d’honneur au mariage de Robert Perriat et Marie-Rose Muret, j’avais comme cavalière la soeur de la mariée : Gilberte. Un rêve ! Robe longue en organdi blanc bleuté, épaules bouffantes, décolleté carré, aucun bijou, une petite marguerite dans ses cheveux châtain clair et des yeux bleus. J'étais plein d'attention et j'avais 25 ans.
Le lendemain du mariage, je partais pour Lourdes à vélo avec Valentin. Première étape :
Noyant-La Bourboule, 180 km. Tout de suite, dans le matin, en roulant, Valentin me dit :
« Qu'est-ce qu'il y a Robert ? Tu ne parles pas. Le mariage s'est mal passé ?
– Oh, non ! Au contraire, j'avais comme cavalière Gilberte Muret et je pense à elle.
– Comme je te comprends, elle est très belle, super gentille. Mais tu la retrouveras au retour. »
Ayant libéré mon secret, j'ai fait alors du tourisme : La Bourboule, Brive, le gouffre de Padirac,
Cahors, Tarbes et Lourdes. Là-bas, nous étions trois cent mille. Il pleut souvent à Lourdes et 300 000 hommes en procession qui chantent à pleine voix un cantique, ça donne la chair de poule.
Moi, dans cette foule, je ne priais pas, je ne pensais qu'à elle. Et la Vierge Marie a tout
compris. De retour à Noyant, je l'ai revue le premier dimanche, et j'ai eu la certitude qu’elle l’attendait aussi. Et puis, un dimanche matin, à la sortie de la messe, sa maman est venue vers moi et m'a dit : « Eh, Robert, si vous le pouvez, vous voudrez bien monter au domaine, Gilberte vous attendra. »
Ma vie commençait. Nous nous sommes mariés le 20 septembre 1947, installés charcutier-traiteur à Roanne, nous avons eu quatre enfants et passé soixante-dix ans d'un bonheur immense.
1939 : 17 ans
J'ai donc commencé mon métier chez Chalmin, charcutier à Noyant. Il était réputé dans la région et mes grands-parents habitant le bourg, j'allais coucher chez eux, je gardais ainsi un lien avec la famille.
J'avais comme compagnon de travail Roland, le fils du patron, 17 ans aussi. Notre entente était parfaite, notre patron un excellent maître. J'étais nourri.
Je prenais le travail à 6 h et après la soupe, vers 20 h, j'allais coucher chez ma grand-mère (mon grand-père venait de mourir. Je vous en parlerai plus loin car c'était un personnage). Je n'étais libre que le dimanche à partir de 13 h.
Ma semaine de travail commençait le lundi matin à 5 h. J'attelais la Bichette à une petite
voiture à bestiaux pour aller à la foire au Montet (20 km AR). Souvent je me suis endormi sur la voiture. Heureusement, il n'y avait pas de circulation et la Bichette connaissait la route. Je revenais avec deux cochons que je laissais en passant à l’abattoir de Noyant. L'après-midi, je les tuais avec l'aide de Roland. Du mardi au samedi, c'était la fabrication. Le dimanche matin, grand nettoyage, préparation des commandes, casser le bois de la semaine pour chauffer les marmites.
En dehors du travail, nous aimions nous amuser et un soir, j'ai eu une idée lumineuse. Nous étions fin novembre, un vendredi soir vers 18 h. Notre travail terminé, nous arrivons dans la cuisine. La patronne nous dit alors : « Les gars, c'est trop tôt, la soupe n'est pas prête, revenez à 7 h1/2. » Nous voilà donc assis dehors sur le perron, la nuit était tombée, quoi faire en attendant ? Le bistro ? On ne s'y plaisait pas bien... C'est alors que j'ai eu une idée : « Si on allait peindre le bourricot de la commune en zèbre ? » C'est le bon moment, demain matin,
samedi, le père Martin fait la tournée des ordures dans le bourg. Il serait tout frais, tout beau.
L'idée plaît à Roland. Nous trouvons dans la grange un pot de peinture jaune avec un pinceau, et nous voilà partis.
L'écurie de Charlot (c'est le nom du bourrin) était dans une cour derrière la mairie. Il y avait un petit mur surmonté d'une grille et un portail en fer fermé à clé. Il fallait escalader, un peu comme des voleurs ; en plus, c'était la cour de la mairie. Nous étions inquiets. Heureusement, la nuit était très noire, ce fut vite réglé. Nous avons facilement trouvé l'écurie de Charlot qui semblait nous attendre.
Roland éclairait la scène avec une lampe électrique, nous nous sommes partagé la tâche. J'ai pris le côté gauche et, d'un pinceau bien chargé en peinture, j'ai fait un trait d'entre les oreilles à la base de la queue, puis un gros sourcil jaune sur l'oeil, des bandes parallèles sur les côtes, quelques traits aux pattes, un coeur percé d'une flèche sur la fesse gauche, et j'ai passé le pinceau à Roland qui a fait le côté droit.
Moins romantique, il a fait sur la fesse droite une tête de mort avec deux tibias en croix. En prenant du recul, notre bête avait de l'allure. Les sourcils surtout lui donnaient un air particulier.
Et puis, avec précaution, nous sommes revenus à la maison. La soupe était prête. En nous mettant à table, on ne pouvait pas s'empêcher de rire et les patrons de nous demander :
« Qu’est-ce que vous avez fait ? » Nous avons spontanément inventé une histoire, mais rien de vrai.
Après la soupe, j'allais coucher chez ma grand-mère et comme je riais encore, elle m'a
interrogé et, à elle, je lui ai tout raconté. Elle a beaucoup ri. Mais après un temps, elle m'a dit :
« C'est drôle, mais ce n'est pas bien. Il faut aller y effacer. Rends-toi compte, si des malandrins entraient dans l'écurie de la Bichette et la barbouillaient comme ça, qu'est-ce que tu dirais ? »
Alors là, je n'avais plus envie de rire. La Bichette était une petite jument que j'aimais beaucoup.
Elle était de cette race de chevaux nains qu'on voit dans les cirques. Sa robe était noire avec une grande crinière et une longue queue que je lavais, puis tressais avec un élastique au bout.
Une fois sèche, je la peignais et elle était ondulée. Je lui cirais les sabots. Elle était gentille et elle me servait pour aller chercher un ou deux cochons à la campagne ou à l’abattoir. Ma grand-mère avait touché juste et je suis retourné derrière la mairie.
Ça sentait la peinture dans l'écurie. Charlot était là, superbe, tournant un regard que les
sourcils jaunes rendaient expressif. Quel dommage d'effacer cela et par où commencer ?
J'essayais dans un petit coin sur les côtes et, tout de suite, j'ai vu que c'était impossible à faire.
C’était une bonne peinture à l’huile qui avait pénétré le poil. J'ai décidé de laisser les choses en l'état et je suis rentré à la maison. Je ne me souviens plus de ce que j'ai dit à ma grand-mère.
Un gros mensonge sûrement...
Le lendemain matin, samedi, à la pique du jour, le père Martin, chef cantonnier à la commune (il n'avait pas de peine à être chef, il était seul), venait chercher Charlot pour faire la tournée des ordures. À peine était-il rentré dans l'écurie qu'il ressortait en gesticulant, pour aller en face de la mairie, chez Valentin Vayrac (cordonnier), et de crier :
– Tintin, Tintin, vin voir qu'el bête !
Tous les deux reviennent à l'écurie et Tintin, qui était un joyeux compagnon, de dire :
– Père Martin, avec un zèbre devant le tombereau, la tournée sera vite faite.
– Oui mon gars, n'y compte pas, je ne sors pas avec une bête pareille, je vais aller voir le maire !
Et de raconter la situation au maire. Problème délicat. Les ordures ne pouvant attendre une semaine de plus, et la commune n'ayant pas une autre bourrique, il fallait sortir Charlot. Et c'est ainsi que le père Martin a dû faire sa tournée.
Sur le coup de 9 h, avec Roland nous avons sorti les poubelles sur le bord du trottoir et nous avons vu arriver l'attelage. Tout le monde sur son passage avait le sourire. Il n'y avait que le père Martin qui ravalait sa colère et comme nous lui faisions compliment, il a explosé en disant:
« Ah, si je les tenais qué là de là qu'avons assaffré mon bourri ! »
Pauvre père Martin, son personnage mérite une description. Vu de mes 17 ans, il me
paraissait vieux. Jamais je ne l'ai vu rasé de frais. De taille moyenne, il portait un pantalon en velours à grosses côtes de couleur foncée, une large ceinture de flanelle autour des reins, une veste bleue de travail, un mouchoir noué sur le côté autour du coup et, sur la tête, un chapeau en feutre noir tout cabossé et auréolé de sueur. À le faire bouillir, il aurait fait un bouillon au fumet plutôt rude ! Une arthrose de la hanche le faisait boiter et il chiquait. Tous les lundis matin, il achetait un paquet de tabac gris et le coupait en six, cela lui faisait six chiques, il prenait aussitôt la première. Etant vieux garçon, il mangeait à midi au bourg, chez la Raymonde. Sa place était réservée dans un coin de la salle. Il posait son chapeau à l'envers, sur le coin de la table, et coinçait sa chique sous le cuir intérieur. Après avoir mangé et bu un dernier coup de rouge, il reprenait sa chique. Il ne la posait que le soir, chez lui, pour la mettre derrière le volet sur le bord de la fenêtre. Le samedi, il effilochait ses six chiques sur un journal,
les faisait sécher dans le four et, le dimanche, il fumait ça à la pipe ! Rien de perdu...
La tournée des ordures étant faite, les choses n'en sont pas restées là. M. le maire en a parlé à la gendarmerie qui a fait une enquête. Prendre ici l'accent "gendarmique" : « Vu le flair qui nous caractérise. Nonobstant la couleur jaune du club de foot, nous orientons nos recherches vers des garçons de l'équipe. »
C'est ainsi qu'un bon copain, farceur reconnu, a été cuisiné un bon moment. Il ne pouvait rien dire car il ne savait rien. Vu le volume que prenait notre affaire, Roland et moi n'avons rien dit. Il ne fallait pas se faire briller. Ma grand-mère aussi a gardé le secret.
Et Charlot dans tout cela ? Eh bien, il est mort au printemps. Rassurez-vous, ce n'est pas cela qui l'a fait mourir, non, il était bien vieux. Il n'a pas eu le temps de refaire son poil. C'est donc en habit de fête qu'il est parti. Et je l'imagine, montant au paradis des ânes, d'une patte alerte sous sa livrée de zèbre. Avec, dans l'humilité de son regard, l’éclat que donne la bonne conscience d'une vie de travail bien remplie, mais surtout le bonheur d'avoir bien fait rire tout son village.
Mon histoire ne s'arrête pas là. Sept ou huit ans plus tard, j'étais marié, je me retrouve un dimanche avec des copains de jeunesse à l'apéritif. Nous évoquions ce que nous faisions en ce temps-là et l'un d'eux de dire : « Vous vous rappelez du bourri qui avait été peint en zèbre ? »
Alors là, estimant qu'il y avait prescription, je me suis découvert et j'ai dit que c'était moi avec Roland. Grand étonnement, ils n'ont pas voulu me croire. Il m'a fallu donner des précisions, dire pourquoi nous n'avions rien dit, etc. Enfin, l'un d'eux de dire: « Personne n'aurait pensé à toi. »
Eh oui, il faut dire qu'à l'époque, j'avais la réputation d'un garçon sérieux, sage, au point que, par deux fois, à l'occasion de fêtes qui rassemblaient des jeunes, deux copines m'ont dit:
« Robert, viens demander à mes parents, s'ils savent que tu y es, ils me laisseront aller avec vous. » À qui se fier ?


Camille Cheymol

[Son grand-père était gardien à la mine, de 1928 à 1940. Propos recueillis par Christian Duc.]
La venue du Négus, l’empereur d’Ethiopie, fin août-début septembre 1937
Sa grand-mère la lui a raconté : une locomotive avec deux ou trois wagons arrive de Moulins, avec des drapeaux français et éthiopiens partout. Elle siffle en arrivant aux corons. Le train est arrivé en gare à coups de sifflet. Tout le monde s’est dirigé vers la mairie avec préfet, conseiller général, maire pour les discours. Il y a eu un match de football entre des soi-disant Africains – qui n’étaient autres que des gars de Meillers et de Gipcy barbouillés en noir – et les Diables rouges.
L’électrification de la campagne
D’habitude, depuis le bâtiment de la mine, toute la campagne était noire la nuit. Quand il y a eu l’électrification, on voyait des lumières dans la campagne. C’était un vrai changement qui donnait une atmosphère nouvelle.

Le marché aux cochons le 29 septembre, à la Saint-Michel Il y avait une activité tout à fait inhabituelle sur la place. Tout le monde amenait à vendre ses nourrains (cochons de 100-120 kg). On amenait les cochons à pied par dix, douze et il fallait quatre, cinq hommes pour conduire chaque troupeau. Puis on emmenait les cochons à la gare
pour les embarquer dans les wagons.
La vente des boeufs
En septembre, avant les labours, mon oncle vendait sa paire de boeufs la plus vieille, des
boeufs de 6 ans. C’étaient des betteraviers du Nord qui venaient les acheter pour sortir les betteraves à sucre. La veille, on lavait les boeufs, on tondait le dessus de l’échine et, le jour fixé, on les conduisait à la gare car il n’y avait pas encore de bétaillère.
Jour de paie à la mine
Il y avait toute une activité vers l’entrée du carreau avec des marchands ambulants :
charcutier, fruits et légumes, fermières. C’était la paie de la quinzaine. Les femmes venaient chercher la paie, sauf pour les mineurs du poste 6 h-14 h. Eux prenaient la paie quand ils sortaient de la douche.
En 1936 ou 1937, le passage du dirigeable
Le dirigeable allemand Zeppelin est passé à la tombée de la nuit, puis il est parti au-dessus de la forêt de Messarges, en direction de Saint-Menoux, Agonges. C’était en septembre. C’était la nuit et le dirigeable était tout éclairé. C’était impressionnant et féerique.
La Saint-Martin [écouté dire]
À la Saint-Martin, les bounhoummes venaient régler les dettes de l’année au maréchalferrant, charron, sabotier, menuisier…
En 1926-1928, mon oncle à Valtanges va régler le sabotier de la place qui lui dit : « Père Charles, vous me devez 100 kg de pommes de terre. » Le père Charles lui a apporté deux sacs de cinquante pommes de terre chacun. Chaque patate faisait 1 kg. C’était des Beauvais.
Jour de marché
Le jour de marché, les mères polonaises venaient avec leur foulard sur la tête. Il y en avait qui étaient pieds nus. En 1928, quand les Polonais arrivaient à la gare, ils n’avaient qu’un baluchon.
La moisson
Les Polonaises et leurs enfants glanaient derrière la moissonneuse-lieuse. Il y avait deux
lavoirs dans les corons, un vers l’infirmerie de la mine et un vers les nouvelles maisons. On vidait les lavoirs et les gens qui avaient du blé glané venaient le battre au fléau dans les bassins vides pour nourrir les poules et les lapins.

Genevieve Lorrain

Le mystérieux trésor du château
Au XVe siècle, vivait à Noyant un seigneur avare et cruel qui était la terreur de ses vassaux et de ses voisins. Pour se mettre à l’abri de toute attaque, il avait construit un grand donjon carré à mâchicoulis qui domine la colline de Noyant et fait creuser dessous des souterrains si vastes que l’on pouvait s’y perdre. Aujourd’hui, malgré toutes les recherches, une grande partie n’a pu être retrouvée.
Au bout de ces souterrains, un habile ouvrier creusa une dernière caverne et la ferma au
moyen d’une roche qu’un mécanisme ingénieux faisait basculer à volonté. Lorsqu’elle était abaissée, elle fermait si exactement le fond du souterrain que personne ne pouvait soupçonner l’existence de la cachette.

Pour être bien sûr que personne n’en apprenne le secret, le mauvais sire enferma dedans
l’ouvrier qui l’avait creusée et l’y laissa mourir de soif et de faim. Ensuite, il porta lui-même dans la caverne le fruit de ses rapines et en remplit d’or et d’argent huit grandes barriques.
Tandis qu’il arrangeait ses richesses, la torche qui l’éclairait tomba et s’éteignit. Dans
l’obscurité, le sire ne put retrouver la clé qui faisait fonctionner le mécanisme de l’entrée et, comme personne ne connaissait sa cachette, il mourut misérablement de la même façon que son ouvrier. On ne retrouva jamais son corps, mais on ne sait comment deux sorcières connurent l’existence de son trésor et le lieu où il était caché. Elles en informèrent quatre mineurs de Noyant et leur donnèrent les indications nécessaires pour le déterrer, en leur recommandant de garder pendant toute l’opération le silence le plus absolu.
Suivant les indications, les mineurs creusèrent le rocher et découvrirent dans une sorte de grotte une des tonnes remplies d’or ; ils passèrent une corde dessous et commencèrent à la tirer. Mais, au moment où la tonne péniblement remontée touchait les bords de l’excavation, l’un d’eux s’écria : « Nous la tenons ! » Aussitôt, la corde s’écourta, la tonne retomba et la voûte de la grotte s’écroula avec un bruit effroyable, ensevelissant les mineurs sous les débris.
Depuis, le trésor n’a jamais été retrouvé. Cependant, si on en croit la légende, on pourrait s’en emparer sans grand danger. Il y a bien longtemps, deux soldats qui passaient la nuit au bas de Noyant aperçurent une lueur dans les buissons. Intrigués, ils s’approchèrent et virent un fantôme blanc serrant entre ses dents une clé qui luisait dans la nuit comme un charbon ardent.
Le fantôme leur fit signe de prendre la clé, mais, effrayés, les soldats se sauvèrent à toutes jambes. C’est dommage car s’ils avaient été plus courageux, ils auraient pu s’emparer du trésor et sauver un pauvre damné. Le fantôme était, en effet celui du sire de Noyant dont l’âme ne doit avoir ni trêve ni repos jusqu’au jugement dernier. En châtiment de ses crimes et de son avarice, Dieu veut qu’il ait les lèvres et les dents sans cesse brûlées par cette clé qui lui a servi à cacher ses trésors injustement acquis.
Toutefois, dans sa mansuétude, le Seigneur permet à son âme en peine de revenir dans la clairière de Noyant tous les sept ans, au jour anniversaire de sa mort. S’il se trouvait un homme assez hardi pour prendre la clé et le suivre, cet homme pourrait ouvrir le rocher et pénétrer dans la grotte où se trouve le trésor et deux squelettes. Quand ces ossements auront été ensevelis dans la terre bénite du cimetière, le supplice du seigneur de Noyant cessera et le trésor appartiendra à son libérateur.



RENÉE GAWLAS née GIRAUDON

Relations à l’école : copines et belles relations.
M. Michelat, instituteur, qui apprenait le français aux Polonais et parlait aussi en polonais.
Wanda et le sacrifice (aucun souvenir).
Distractions rares : le foot très développé.
Son mariage avec M. Jean Gawlas : histoire d’un mariage mixte (parents ?) (*
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